Nettoyer la salle de classe, le soir après les cours, ne m'a jamais dérangée. De toute façon, c'est obligatoire et tout le monde y passe. Nous devons passer le balai, vider les poubelles, essuyer le tableau et nettoyer les toilettes. Certains élèves rechignent parfois à faire ses tâches et râlent lorsque c'est à leur tour de faire le ménage. C'est tout le contraire de moi.
J'ai toujours trouvé cette activité reposante. Peu importe la personne avec qui je me retrouve pour effectuer ces tâches ménagères, je me débrouille pour partager le nettoyage de manière égale et efficace. J'aime quand les choses sont faites en silence avec rapidité. Ce que redoute en général le plus mes camarades, ce sont les toilettes, alors je me dévoue souvent pour m'en occuper. Je ne veux pas créer de conflit inutile, et de toute façon, je ne trouve pas ce travail particulièrement déplaisant.
Au moins, quand je suis au toilette, je suis seule et dans le calme. Et puis, j'aime l'odeur des produits ménagers qu'on utilise pour les nettoyer. Je vais sans doute passer pour une fille étrange, mais j'aime passer du temps seule au toilette à effacer la moindre trace de saleté. C'est satisfaisant lorsqu'à la fin, l'endroit scintille tellement qu'on pourrait presque y voir son reflet. C'est un peu mon moment de calme à moi, une bulle confortable parfumée aux odeurs de produits ménagers.
Tout s'est toujours bien passé. Peu importe avec qui je me retrouvais en duo, le ménage se passait dans le calme et le plus grand respect de l'autre. Néanmoins, j'ai vite déchanté lorsque j'ai entendu le nom de celui qui allait partager sa soirée nettoyage avec moi.
- Pourquoi a-t-il fallu que ce soit lui, je souffle sans pouvoir m'en empêcher.
Appuyé contre son balai, Toge Inumaki observe le club de foot s'entraîner par la fenêtre qui donne sur la cour. J'ignore depuis combien de temps il est comme ça, à ne rien faire, le regard dans le vide, alors que je lui ai pourtant demandé de s'occuper des poussières de la moitié de la salle. J'étais trop occupée dans mon propre passage de balai pour faire attention à ce qu'il faisait. Je soupire, puis range mon balai à sa place.
- Inumaki-san, je l'appelle en tapotant son épaule pour le sortir de sa rêverie. Je me charge du nettoyage des toilettes, je te laisse continuer de faire les poussières. Tu pourras également t'occuper du tableau ?
Il se tourne vers moi, puis lève un pouce en l'air.
- Saumon, Sashimi Yakisoba !
Je tente un sourire et prends sa déclaration comme un « pas de soucis, compte sur moi ! » Du moins, j'espère que c'est ce que ça signifie. Malgré mon scepticisme, je décide de lui faire confiance et quitte la salle de classe pour me rendre aux toilettes. Je lui jette cependant un dernier regard en ouvrant la porte : Toge Inumaki a repris sa contemplation du club de foot. Je retiens un soupir et referme la porte derrière moi.
Je me calme instantanément lorsque je retrouve mon havre de paix au fond du couloir. Là, il n'y a personne d'autre que moi, et sûrement pas Toge Inumaki pour continuer à me déconcentrer. J'ai presque un sourire aux lèvres lorsque je m'empare de la serpillière pour nettoyer le sol. L'odeur du produit antibactérien ne tarde pas à envahir la pièce, pour mon plus grand bonheur. Je ne connais rien de plus satisfaisant que de rendre propre un endroit sale.
Lorsque je termine le nettoyage des toilettes, tout est tellement impeccable qu'on dirait que la salle est neuve et que les toilettes viennent d'être installées. Fière de moi, je range la serpillière et tout le nécessaire que j'ai utilisé pour décrasser le sol et retrouve ma salle de classe que j'ai confiée à Toge Inumaki. Juste avant d'ouvrir la porte, je fais une prière silencieuse : j'espère de toutes mes forces qu'il a fait ce que je lui ai demandé, et que le tableau va tellement briller de mille feux que j'en serai éblouie.
Naturellement, je me suis doutée que cette prière ne servirait pas à grand-chose. Je suis à peine étonnée lorsqu'en pénétrant dans la salle, je retrouve Toge Inumaki en train de dessiner une horreur sur le tableau. Son balai est par terre, il est clair qu'il n'a pas avancé dans son ménage. Et le tableau est dans un état bien pire que quand je suis partie : un poulpe gigantesque tout droit sorti d'un takoyaki semble attaquer une ville et en dévorer les habitants.
- Inumaki-san, ce n'est pas vraiment ce que j'appelle faire le ménage...
Je fais de mon mieux pour ne pas m'énerver et rester polie. Il se fige en m'entendant. J'imagine que même si j'ai essayé de rester calme, il a perçu l'agacement dans le timbre de ma voix. Il se retourne vers moi avec la craie dans la main, comme surpris en train de faire une bêtise.
- Ta, takoyaki !
Il me pointe son poulpe du doigt avec des étoiles dans les yeux. Je ne comprends pas. Je soupire, me pince l'arête du nez et me saisis de la brosse pour effacer son gribouillis et nettoyer le tableau moi-même. Il a l'air complètement abattu par mon geste, mais je m'en fiche pas mal. Le ménage, c'est sérieux, on ne plaisante pas avec ça. Et je n'ai aucune envie de m'attarder plus longtemps au lycée parce que Toge Inumaki ne fait pas ce que je lui ai demandé. J'ai beaucoup de travail qui m'attend à la maison, je n'ai pas le temps pour ses enfantillages.
Tu vois Shiyomi, ce genre de personne ne réussira jamais rien dans sa vie. C'est pour ça qu'il faut toujours avoir la note maximale, ne jamais faiblir, ne pas tolérer l'échec. Tu as envie de me décevoir ?
- Inumaki-san, j'aimerais que tu sois un peu plus sérieux, je n'ai pas que ça à faire. Je vais vider les poubelles, mais s'il te plaît, j'aimerais que le reste soit nickel à mon retour.
- Œuf, œuf de saumon.
Encore une fois, j'ignore la signification de cette réponse alambiquée. Je ne m'en préoccupe pas et me contente de vider les poubelles sans grand espoir. Mais je suis surprise lorsqu'à mon retour, les poussières ont été balayées et le tableau nettoyé. Lorsque je croise son regard, il détourne les yeux, l'air embarrassé.
- Thon mayonnaise, dit-il en s'inclinant.
J'accepte ses excuses en lui offrant un sourire franc qui semble le déstabiliser. Satisfaite, je quitte la salle de classe avec le coeur étonnamment léger. Je me dis que finalement, Toge Inumaki n'est pas si terrible. Malgré ses défauts, il peut se montrer digne de confiance de temps en temps.
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Sashimi Yakisoba pour les intimes
Hayran KurguMoi, c'est Shiyomi Yoshida. Ce n'est pourtant pas un nom très compliqué, non ? Les sonorités s'enchaînent sans mal, et mon prénom est répandu, il est loin d'être surprenant. Pourtant, Toge Inumaki, mon voisin de classe, semble incapable de le pronon...