12|L'amertume des légumes marinés

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- Tout va bien Shiyomi ?

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- Tout va bien Shiyomi ?

Ma mère me regarde avec inquiétude. Il est vrai que j'ai à peine touché à mon bol de riz et que je ne fais qu'effleurer des lèvres la soupe miso. Ce que m'a dit Maki tout à l'heure ne cesse de me travailler l'esprit, je ne sais pas quoi en penser. Moi, plaire à un garçon ? Qui plus est à Toge Inumaki, mon énigmatique voisin de classe qui me surnomme « Sashimi Yakisoba » à la place de « Shiyomi Yoshida » ? Je me sens bizarre, mes pensées se bousculent et j'ai beau tenter d'y mettre de l'ordre, j'ai l'impression de me perdre davantage.

- Hm. C'est juste que je n'ai pas très faim.

Ma mère a d'autres choses à faire que de se soucier de mes petits problèmes d'adolescente qui découvre l'amour pour la première fois. Je ne veux pas la déranger avec ce genre de soucis futiles. Pour éviter qu'elle ne s'inquiète, je pioche dans les divers légumes marinés disposés à table et attrape un tempura que je m'empresse d'engloutir.

Elle me sourit, l'air soulagée. Quand je suis plongée en pleine révision, je pourrais sauter des repas si ma mère n'était pas là pour m'appeler à table. Néanmoins, quand je dîne avec elle, je fais toujours un effort pour manger, même quand j'ai la boule au ventre parce que j'ai un examen le lendemain. Il n'est jamais bon d'étudier le ventre vide.

Ma mère n'est pas dupe. Quand je ne mange pas, elle sait que je ne suis pas dans mon état normal.

- Au fait, ça se passe bien en cours ?

J'acquiesce et continue de manger mon riz.

- Oui. Je pense que les prochains examens seront du gâteau.

- Et il continue de t'embêter, ce voisin dont tu te plaignais en début d'année ? Inumaki-san, je crois.

Je me fige pendant quelques secondes, laissant mes baguettes en suspend au-dessus de mon bol. Je finis par reprendre une rondelle de courgette marinée, je m'en veux de me laisser perturber rien qu'en entendant son nom.

- Oui et non. On est amis maintenant. Il a un bon fond.

- Il se fait toujours harceler ?

- J'ai réglé ça avec un professeur, et les deux que j'ai surpris en train de le frapper ont été renvoyés. Depuis, plus personne n'ose lui chercher d'ennuis de peur d'être expulsé du lycée. Il arrive encore que des élèves chuchotent derrière son dos, mais je ne pense pas qu'on puisse arrêter ça. En tout cas, Inumaki-san semble aller mieux.

- Tant mieux. Je suis fière de toi ma fille.

Alors que je m'apprêtais à prendre une gorgée de soupe miso, je la regarde, étonnée.

- Pourquoi ?

- Il n'y en a pas beaucoup qui aurait eu le courage de prendre sa défense. Tu sais, tu trouvais que ce que les autres lui faisaient subir n'était pas normal, mais à leurs yeux, c'est sans doute toi qui es bizarre. Les gens ont toujours été ainsi : lorsqu'une personne est différente et sort trop du lot, elle s'expose à des moqueries, des insultes et parfois même des coups.

Elle s'interrompt un instant pour piocher un tempura.

- Heureusement, ceux qui participent au harcèlement sont une minorité. Le problème, c'est que souvent, les gens autour sont au courant de leurs méfaits, mais qu'ils ne les dénoncent pas par peur ou par égoïsme. Ceux qui prennent vraiment la peine d'aider les autres sont rares. Il a dû te voir comme une héroïne.

- A ce point-là ?

Je sais qu'il y a peu de gens qui auraient aidé Toge Inumaki s'ils avaient été à ma place. Mais je ne suis pas une héroïne, au contraire. Je suis au courant de son harcèlement depuis le début d'année, et à mes yeux, j'ai agi bien trop tard. Le vrai héros, c'est Toge Inumaki qui endurait ça en silence, sans riposter, comme s'il y était habitué depuis trop longtemps. Je me demande pourquoi il n'en a jamais parlé. Il aurait au moins pu le signaler à quelqu'un en écrivant une lettre. Pourtant, il gardait le silence.

Son mutisme est un choix, mais je me demande quelle raison l'a poussé à ne rien dire. Est-ce parce qu'il ne voulait déranger personne en prenant sur lui ? Je sais aussi que beaucoup de victimes de harcèlement ne parlent pas de peur de se faire juger et de passer pour quelqu'un de faible. Ils pensent pouvoir régler ça seul ou espèrent pouvoir endurer ce calvaire jusqu'à la fin de leurs années de lycée.

On leur répète qu'il faut en parler, mais pour eux, c'est sans doute loin d'être aussi facile à dire qu'à mettre en pratique dans la réalité.

- En tout cas, tu es au moins mon héroïne, me dit ma mère en finissant de manger.

- Pourquoi ?

Elle glousse en entendant ma question que je me suis un peu trop hâtée de poser. Je finis à mon tour ma soupe miso.

- Parce que tu es forte, Shiyomi, et que je ne connais pas beaucoup de filles de ton âge aussi mature et bienveillante. Je suis fière d'être ta mère.

Tandis qu'elle mime de s'essuyer une larme invisible, je lève les yeux au ciel, mais ne peux empêcher un sourire d'étirer mes lèvres. Un compliment venant de sa mère, ça fait toujours plaisir. C'est comme si ses mots s'enroulaient autour de votre coeur pour lui apporter de la chaleur. Mais elle recouvre vite son sérieux, la mine grave. Je me demande à quoi elle pense.

- Si seulement je m'étais aperçue plus tôt de l'attitude de ton père avec toi... Pardon de ne pas avoir agi plus tôt, Shiyomi.

C'est à mon tour de sentir ma mine s'assombrir. Je n'aime pas parler de mon père. Automatiquement, ce sont les mauvais souvenirs qui remontent. Il n'y a pas un jour sans que je ne remercie intérieurement ma mère pour avoir eu le courage de divorcer avec lui. Elle s'est battue comme une forcenée pour obtenir ma garde. Elle m'a sauvé de mon cauchemar.

- Tu n'as pas à t'en vouloir maman. J'aurais dû t'en parler aussi.

- Shiyomi, avant de quitter la table... Rassure-moi, ce n'est pas à cause de lui que tu t'efforces toujours à avoir les meilleures notes ?

J'esquisse un sourire, bien que loin d'être honnête.

- Non, ne t'inquiète pas maman.

- Non, ne t'inquiète pas maman

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Sashimi Yakisoba pour les intimesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant