Puis, le goût de cigarette s'écrasa subitement contre mes lèvres, et avant que je ne m'en rende compte, Mary s'écarta ne laissant que le vent effleurer ma bouche après ce baiser volatile.
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_Journal de bord- dix-neuf octobre 1948_
*vingt-trois heures*
Que venait-il de se passer?
— Je ... je te demande pardon. Bredouilla-t-elle en se reculant, je suppose que j'ai eu la main lourde sur l'alcool. Ajouta-t-elle dans un rire gêné qui me fit revenir à la réalité.
— C'est faux. La fixais-je, étonnée de ma propre audace. Je ne t'ai point vu prendre ne serait-ce qu'un seul verre de toute la soir...
— J'aurais très bien pu en cacher dans mes poches, tu sais que j'en serais capable !
— Oui... Marquais-je une pause, les sourcils froncés, ...Mais tu es sobre.
— Tu ne peux point le prouver!
En temps normal j'aurais sûrement ris de son obstination, mais j'avais le besoin de m'assurer que tout ceci était réel, c'était différent et je ne comprenais pas bien pourquoi on se disputait à l'instant présent.
— Tes lèvres ne sont pas alcoolisées. Lui répondis-je dans un murmure embarrassé pendant qu'elle pinçait instinctivement celles-ci.
Je me mis alors à la fixer, essayant de comprendre à quoi rimaient toutes ces balivernes, et ce fameux baiser que l'on venait tout juste d'échanger. Puis, elle osa discrètement croiser mes yeux, peut être par inadvertance, mais ce fut l'erreur de trop. Car je pus y apercevoir la vérité que cachait la crainte de son regard fuyant.
— C'était volontaire. Réalisais-je en chuchotent, en me demandant comment j'avais pu être aussi aveugle. Ces dernières semaines, je n'avais pensé qu'à moi et à mon petit article, mais je me souvenais de tout. Tous les moments d'égarement de ses iris sur ma peau ou ses airs déboussolés quand nous inversions ces rôles.
— « Tout sentiment qu'on n'éprouve plus est un sentiment dont on n'admet point l'existence. »
Je relevai le visage vers elle après ses mots, ne sachant pas comment les assimiler et lui fis signe de m'expliquer.
— Stendhal. Me répondit-elle, ses yeux insaisissables, mais pas impénétrables, dirigés vers le sol de bois froid. Ce que j'essaie de dire, continua-elle, c'est que j'ai finalement commencé à assumer le fait de te dévisager sans honte. J'ai appris à connaître ce sentiment qui surgissait quand je contemplais tes boucles auburn se balancer dans le bas de ton dos ou quand je remarquais la façon dont ton sourire haussait tes pommettes écarlates.
Les yeux légèrement écarquillés, je venais de comprendre le sens de tous ses échanges ambigus ou de ses moments de perplexités. Je ne savais point comment réagir, planter là, sur ce perron, avec une musique de fond. Je me sentais stupide comme jamais on avait pu me le reprocher.
— J'ai cru... Ajouta-t-elle d'une voix qui se voulait plus fragile ou simplement timide, ... Enfin, je suppose que j'ai laissé l'espoir me consumer et sans le vouloir, j'ai pris les devants.
Des sentiments réciproques? Mes yeux se perdirent au-delà de la mer, cherchant l'horizon dans une vague de réflexion. Mary-Thérèse venait de me confesser, d'une manière plutôt inopinée, son amour, qui jusqu'à présent, m'était complètement insoupçonné. Mais que ressentais-je par rapport à ça? Je n'en avais pas la moindre idée. Elle était mon amie. Où peut être cela avait-il changé.
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Journal de bord|¹⁹⁴⁸
Teen Fiction_"Fuir pour construire"_ C'est en septembre 1948 que nous rencontrons Joséphine Sinclair dans son journal de bord, retraçant les événements qui l'ont amené à se faire une place dans le combat d'une révolution autant sociétale que poétique. À vingt...