Aline
Lorsque l'aube se lève enfin, je me sens étrangement calme, comme vidée de toute émotion, comme si plus rien ne pouvait m'atteindre. La discussion que Fenris et moi avons eu la veille me revient et je sais que ses mots tourneront encore longtemps dans mon esprit avant que je ne parvienne à les en chasser.
Je me lève doucement, prenant le temps de jeter un regard triste au paysage luxuriant qui s'éveille lui aussi derrière la fenêtre. Le soleil pointe timidement le bout de son nez, parvenant enfin à percer le brouillard invoqué par Fenris ces derniers jours. Une fine couche de rosée perle sur les pétales des fleurs et aux feuilles des arbres, rendant le panorama presque irréel, comme sortit tout droit d'un rêve enchanté et étincelant.
Mais de tels rêves ne peuvent me faire oublier que le monde est aujourd'hui bien trop sombre pour que je puisse me laisser aller à l'évasion de l'esprit et à la procrastination. Un peu à contrecœur, je quitte le rebord de fenêtre sur lequel je m'étais adossée pour rejoindre la cuisine où j'entends déjà les voix de Gabriel et Fenris.
Les yeux encore embués de sommeil, je descend les escaliers, enveloppée dans une vieille robe de chambre d'un vert passé trouvée dans une armoire sans âge sentant la poussière, et rejoins les deux immortels déjà occupés à se chamailler comme des enfants. Des enfants âgés de plusieurs siècles. Comme quoi, on ne grandit pas tous à la même vitesse.
- C'est quoi ce regard ? me lance alors le démon, un sourcil levé, se demandant vraisemblablement pourquoi je commence par leur lancer un coup d'œil plein de jugement de si bon matin.
Il semble vouloir faire comme si les événements de la nuit passée n'avaient jamais eu lieu, et ce n'est certainement pas à moi d'aborder le sujet. Je hausse donc les épaules et réponds d'un ton nonchalant.
- Je me disais juste que, peu importe que vous ayez vécu l'équivalent de plusieurs vies humaines, vous êtes toujours des gamins.
Cette fois, le roi des Enfers arbore un air amusé et je vois la naissance d'un sourire à la commissure de ses lèvres.
- Voyez-vous ça ! La petite mortelle se permet de juger les conversations des grandes personnes.
Je lève les yeux au ciel, mais ne relève pas, trop affamée pour le laisser déranger mon objectif principal : engloutir un maximum de nourriture pour faire oublier à mon estomac que j'ai sauté le dîner hier soir. Je m'assied donc à côté de Gabriel qui, pour sa part, ne lâche pas Fenris du regard, comme s'il essayait de le décapiter par la pensée. Le démon, lui, se contente de siroter un café brûlant comme du petit lait tout en jetant un petit sourire condescendant à l'archange en colère.
- Vous allez m'expliquer ?
Fenris tourne alors son regard d'or vers moi sans pour autant se départir de son sourire.
- T'expliquer quoi, trésor ?
"Trésor" ? Il est vraiment de bonne humeur, ce matin. Pour un peu, je jurerai que le Fenris qui se tient là devant moi ce matin n'est pas le même que la créature à bout de force et de volonté que j'ai retrouvée hier. Il s'est forcément passé quelque chose.
- M'expliquer pourquoi Gabriel tire une tronche de six pieds de longs et pourquoi tu sembles prêt à danser la gigue pour extérioriser ta joie.
Fenris rit doucement, s'imaginant sans doute danser la gigue de si bon matin. Il lance alors un regard se voulant complice à Gabriel, qui ne lui renvoie qu'un coup d'œil assassin pour toute réponse.
- Il se trouve, très chère, qu'il est désormais temps de passer à l'action, et que les derniers détails propres à l'exécution de mon plan ne semblent pas convenir au grand maître de la justice que voilà.
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Ex Nihilo -3- Alea jacta est
ParanormalLe temps a passé depuis que Fenris a été emprisonné dans le Néant, au cœur des Enfers. Depuis ce jour, Aline est constamment assaillie de rêves et de visions dans lesquels elle le voit lutter pour se libérer de cette prison créée par Lilith. Mais al...