Ex Nihilo -3- Alea jacta est

XXVI- Que la bataille commence

Haniel

Alors ça y est. Nous y sommes. Alors que l'armée disciplinée du Père se dirige vers la masse grouillante de démons, de diables et de monstres dirigée par Fenris, Raphaël et moi abandonnons les nôtres à leur sort tandis que nous nous apprêtons à détruire leur chef légitime et unique commandant depuis des millénaires.

Le coeur serré, je laisse mon regard dériver une dernière fois sur ces êtres lumineux créés par et pour le Père, eux qui n'étaient censés vivre que par et pour le Bien. L'équilibre tant recherché par notre créateur a depuis longtemps été renversé. Les pauvres mortels utilisés par l'armée démoniaque ne survivront pas au massacre qui s'annonce. Et aucun des nôtres n'a de chance de survivre non plus. Briser un serment sacré, c'est se condamner à mort. Ne rien faire, c'est se condamner à mort. Peut-être y aura-t-il parmi eux quelques nobles âmes qui tenteront, avant d'être balayées par leur serment brisé, d'emporter le plus d'âmes damnées dans les Limbes en leur compagnie. Espérons-le.

Mon frère, Raphaël, quant à lui, vole à mes côtés, l'air sombre. Nous n'avons pas échangé un seul mot depuis des heures. Seules quelques indications sèches et quelques onomatopées viennent briser le silence tendu qui règne entre nous. J'ai peur de ce que nous pourrions dire si nous en venions à desserrer les dents.

Je sais qu'il a peur, il sait que j'ai peur. Une émotion normalement inconnues des archanges. Nous sommes nés pour servir et protéger, pas pour céder à de bas instincts de conservation ou de survie. Nous sommes des immortels nés pour mourir au service de notre créateur. Mais jamais nous n'aurions pensé devoir un jour nous battre contre notre frère aîné, notre égal, celui en qui nous avions toute confiance et qui se révèle finalement n'être qu'un traître à son serment. A l'instant même où il lèvera la main sur le Père, il sera effacé de la surface du monde. Mais il est trop puissant et dangereux pour que nous le laissions s'en prendre à nos forces ou s'allier aux forces ennemies. Notre devoir est de l'arrêter, quoi qu'il nous en coûte.

Je pousse un soupire de désespoir qui n'échappe pas à mon frère.

- Pourquoi arborer un air si sombre, mon frère, lance alors Raphaël, volant toujours à travers les nuages en direction du Sanctuaire.

Je ne réponds pas immédiatement, tentant de faire le vide dans mon esprit, de trouver une réponse convenable qui ne pourrait pas sembler être une quelconque forme de rébellion à l'encontre du Père qui doit nous surveiller à l'heure actuelle. Un traître parmi ses plus fidèles créatures doit avoir entamé sérieusement sa confiance en chacun de nous.

- Eh bien, nous allons devoir combattre Gabriel. Et nous devrons certainement en finir. Il ne s'en tirera pas avec un œil en moins, cette fois. Et la Fille sera là, elle aussi. Aujourd'hui, nous allons mettre un terme à une lignée aussi vieille que le monde et souiller nos âmes du sang de notre frère.

Raphaël ne répond rien, cherchant visiblement lui aussi ses mots.

- C'est ainsi. C'est notre devoir. La Terre pourra peut-être enfanter à nouveau un jour, lorsque l'équilibre sera revenu. Peut-être verrons-nous un nouvel Âge d'Or s'élever et renaître de ses cendres pour que reviennent les jours heureux, la paix et la confiance. Quant à moi, ma décision est prise.

Il laisse planer un silence dramatique et tendu avant de poursuivre d'un air plus sombre encore qu'auparavant.

- Les traîtres doivent être châtiés à la hauteur de leur crime. Gabriel n'est plus notre frère, il n'est plus rien à mes yeux qu'un traître à son créateur, un menteur et un parjure. Rien de ce qu'il pourra faire ou dire ne pourra jamais effacer cet affront. S'allier à un démon, et pire encore, faire alliance avec leur souverain dans l'unique but de destituer le Père, rien ne peut pardonner une telle ignominie.