XXIII- Tu voulais une vision ? En voilà une.

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Aline


Après plusieurs heures d'entraînement intense, je regagne la petite maison silencieuse. Gabriel, bien qu'il m'ait assisté dans la plupart de mes exercices, ne semble pas le moins du monde en souffrance. Pas de sueur, pas de souffle court, pas de bras lourds de fatigues, à peine décoiffé... Rien. C'est peut-être puérile, mais la perfection divine est vraiment la pire des injustices.

L'archange et moi déposons nos armes à l'entrée, conscients qu'elles nous serviront avant que nous n'ayons le temps de les ranger à leur place, puis je file sous la douche. L'eau chaude dénoue mes muscles endoloris, et j'en profite pour donner un petit coup de pouce à mon organisme grâce à la magie. Hors de question d'être courbaturée avant même d'avoir porté le moindre coup à l'ennemi.

Alors que je coupe l'eau et sors de la douche, je suis interloquée par mon reflet embué dans le miroir trônant fièrement au-dessus du lavabo. D'un geste, je chasse la buée qui dissimulait mes traits et me découvre un nouveau visage.

Mon regard est plus déterminé, mes lèvres, plus serrées, mon corps tout entier semble avoir grandit, mûri, comme si tout mon être n'avait pensé qu'à ce moment, n'avait évolué que pour arriver enfin au jour où tout se déciderait.

Cette pensée m'arrache un sourire. Après tout, peut-être le destin existe-t-il pour les êtres, qu'ils soient mortels ou immortels ? Je ne saurais le dire, mais si une chose est sûre, c'est que je suis aujourd'hui à la place qui est la mienne, prête à me battre jusqu'au bout pour la justice et la liberté.

Je suis chassée de mes pensées par le bruit aussi reconnaissable que désagréable d'une porte claquée si violemment que je sens le parquet sous mes pieds trembler légèrement.

- Où est-elle ?

Entends-je dire Fenris, sa voix étouffée par la distance et la porte verrouillée.

Aussitôt, ma belle assurance et mes bonnes intentions s'effondrent, balayées par une peur panique. Non ! Je ne dois pas me laisser submerger !

Je secoue la tête, tentant vainement de me débarrasser des sombres pensées me venant à l'esprit. Fenris a toutes les raisons du monde de m'en vouloir, et s'il doit s'en prendre à moi, personne ne pourra l'en empêcher, alors autant faire face aussi fièrement que possible.

J'enfile rapidement un pantalon confortable et un T-shirt avant d'ouvrir la porte dans un geste tout à fait théâtral.

- Je suis là, Fenris, dis-je alors que le démon monte les marches de l'escalier avec une retenue dissimulant très mal sa rage contenue.

Je déglutis difficilement, me forçant au calme, tout en ne pouvant m'empêcher de remarquer un détail qui m'arrache un frisson. Du sang. Il est littéralement recouvert de sang. Mais il ne semble pas blessé. Par le Père, qu'est-ce qu'il a fait ? Je prends une profonde inspiration, tentant de ralentir les battements affolés de mon cœur.

- Qu'y a-t-il ?

Il lâche un rire sec, froid et cassant, sans joie, qui me laisse présager du pire. Son regard me transperce, pulvérisant mon assurance feinte en un instant, ses yeux me poignardant en plein dans l'âme plus sûrement que n'importe quelle épée. Son regard d'or semble brûler d'une flamme si ardente qu'elle détruira tout sur son passage, le brasier de sa rage s'enhardissant au contact de l'ouragan de sa folie.

- Qu'y a-t-il ? Tu ne manques pas de cran, Gamine de la Terre, je dois bien l'avouer. Il y a que je vais te donner ce que tu cherchais si avidement, il y a quelques heures encore.

Il s'approche de moi à grandes enjambées alors que je recule, effrayée par le bouillonnement d'émotions destructrices que je perçois en lui.

- Fenris, laisse-la ! tente d'intervenir Gabriel.

Ex Nihilo -3- Alea jacta estOù les histoires vivent. Découvrez maintenant