Aline
Silence.
La symphonie des lames, le contrechant des pas précipités, le chœur des souffles courts, le requiem de nos pensées, tout est effacé.
Le silence écrase tout.
A terre, Gabriel, les ailes tranchées, le dos ouvert dans un large cratère bouillonnant d'écarlate, tousse, crache et s'étouffe dans son sang immortel, tandis qu'Haniel, lui aussi privé de ses ailes, regarde sans comprendre la hampe de la lance lui transperçant le corps avant de s'effondrer dans un hoquet stupéfait. Raphael, mis hors d'état de nuire par Gabriel, tente de se redresser, le visage déformé par un hurlement silencieux, mélange de haine, de désespoir et de rage, ses yeux foudroyant l'être ayant massacré ses frères.
Au-dessus d'eux, scintillant dans la pâle lueur du levant, ses puissantes ailes d'ombre murmurant dans son dos, ses magnifiques cornes se dressant vers le ciel comme un défi, Fenris domine la scène de son regard d'or inexpressif. Ses yeux voyagent doucement d'un visage figé par la douleur à un autre sans sembler en reconnaître aucun. Sa faux à double tranchant capture la lumière du jour naissant pour ne plus jamais la rendre, sa lame tachée de sang et de magie noire. La puissance sans égale du Roi des Enfers fait vibrer l'air doucement, comme un bourdonnement incessant et terrifiant.
Toujours adossée à l'arbre qui aurait dû accueillir mon trépas, je reste là, silencieuse et tremblante, incapable de décider ce qu'il est bon de faire désormais. Ma tête bourdonne de mille voix inconnues, mon âme semble prête à se déchirer, mon corps est à l'agonie alors que tant de fragments d'êtres cherchent à réagir de cent manières différentes. Je reste donc figée, incertaine quant aux événements qui viennent de se dérouler, plus encore quant à ce que nous réservent les minutes à venir.
Fenris nous avait prévenu, Gabriel et moi, qu'il viendrait nous prêter main forte lorsqu'il en aurait terminé avec l'armée divine. Mais jamais il n'avait été question de s'en prendre à ses alliés. Je jette un regard terrorisé à l'archange de la Justice, étalé dans la boue formée par notre sueur et notre sang durant nos combats respectifs. Mon regard vole alors jusqu'au démon toujours immobile, dévisageant ses proies comme un loup regarderait une brebis blessée. Aucun sourire victorieux, aucune remarque déplacée, aucun mot, aucune émotion, rien du tout. Il n'y a rien à dire. Les brebis sont à terre, le loup est affamé, il n'y a plus rien à attendre que la conclusion inévitable.
- Fenris, qu'est ce qu'il te prend ?!
La voix de Gabriel me fait sursauter après l'éternité silencieuse qu'il me semble avoir vécu. L'archange tente de se redresser, son regard azuré s'assombrissant pour foudroyer le démon. Prenant appuis sur ses bras tremblants couverts de boue et de sueur, il s'effondre à nouveau, le souffle court, son dos lacéré laissant échapper une cascade sombre où se mêlent sang et magie.
J'esquisse un mouvement pour porter secours à mon ami à l'agonie, ses ailes à moitié tranchées traînant mollement sur le sol, mais suis arrêtée dans mon élan par un impérieux désir de ne pas bouger, d'attendre et d'obéir. Instinctivement, mon regard se porte à nouveau vers l'incube rayonnant d'ombre et de sortilèges à quelques pas de là. Les âmes hantant les recoins de mon être ruent et se débattent contre un sort dont je ne saisis ni le sens ni les failles. Des souvenirs qui ne sont pas les miens m'assaillent. Un ordre. Un désir insoupçonné et indomptable d'obéir, de ployer et de renoncer à tout pour le bon plaisir d'un être unique. Elles l'ont déjà vécu. Certaines de mes ancêtres, à travers les âges, ont connu cette servitude béate, aussi terrifiante qu'envoutante. Et toutes ont agi selon les commandements de ce démon semblant ne connaître aucune limite.
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Ex Nihilo -3- Alea jacta est
ParanormalLe temps a passé depuis que Fenris a été emprisonné dans le Néant, au cœur des Enfers. Depuis ce jour, Aline est constamment assaillie de rêves et de visions dans lesquels elle le voit lutter pour se libérer de cette prison créée par Lilith. Mais al...