Clay n'était plus le chasseur qu'il avait apprécié être pendant une courte période avec Aaron.
Peut-être avait-ce été une manifestation des pulsions de rébellion qui forgeaient son caractère depuis tout petit, ou peut-être avait-il hérité à durée limitée du comportement extrême de son patriarche, pourtant détestable à ses yeux. Mais désormais, Clay était trop préoccupé par une nouvelle intrigue bien plus intéressante pour perdre son temps à se poser ces questions ou encore se remettre en question sur les dernières semaines passées à terroriser Aaron. Non pas que celles-ci lui aient déplu, il avait changé doucement de point d'intérêt.
Il se présentait devant lui plusieurs problématiques autour d'un même sujet, découlant d'une même source, se dévoilant lentement à lui de façon chronologique. Clay n'aurait pu trouver meilleur passe-temps que d'observer continuellement cet énergumène. Ce colocataire certes contre son gré, que Clay n'aurait pu trouver autrement. Bien que celui-ci se sentait toujours comme une proie d'une certaine façon, il avait désormais l'impression d'être un gibier sous surveillance, constamment accompagné dans chacun de ses mouvements. Et pour ne pas aider sa lassitude prenante à l'égard de l'envahisseur, James avait adopté une nouvelle façon de se comporter toujours plus perturbante.
Marchant derrière lui au quotidien, il continuait de fixer Aaron du regard dès qu'il en avait l'occasion, en agrémentant assidûment de questions pouvant faire jalouser un enfant en plein apprentissage de la vie. La phase du ''Pourquoi'' était riche chez James, et appauvrissait proportionnellement la patience de notre pauvre homme persécuté.
«Pourquoi tu restes à l'écart ?»
«Tu ne prends jamais les transports ?»
«Pourquoi faire uniquement des achats à distance alors que la supérette est à côté ?»
«Tu évites les gens mais tu leur parles comme si de rien n'était ? Un peu faux-cul, non ?»
«Les cours se passent en classe sur une chaise, pas à l'infirmerie sur un coussin tu sais ?»
«Tu ne prends jamais tes pauses dehors avec les autres ? Asociable sur les bords, dis-donc.»
Aaron avait pour sa part adopté la phase du silence, une forme de protection qui ne semblait pas faire barrage au flux d'arrivée des questions de James. Se disant que ce dernier n'allait possiblement jamais s'arrêter, il préférait endurer comme il avait si bien l'habitude de faire. Quel horrible père il aurait fait, disons-le nous.
Il aurait presque été touché par ces questions, eurent-elles été prononcées par une toute autre personne. Et peut-être avec moins de cynisme et de jugement dans la voix. Et ce sourire malicieux en moins. Il aurait aussi enlevé cette paire d'yeux associée à une ombre gênante s'il le pouvait.
En y repensant, il n'avait finalement que très peu de considération ou d'attention pour ces questions, mais un fin fil de pensée essayait de le convaincre que cette curiosité avait peut-être un bon côté. Rien qu'un faible fil. Une façon comme une autre de se dire que sa propre patience ne tenait qu'à un fil, auquel il devait s'attacher avant qu'il ne craque et perde le contrôle.Notre malheureux persécuté avait donc obtenu un genre de garde rapprochée à effectif unique, constituée d'un individu harceleur exténuant qu'il nourrissait et logeait contre volonté, au risque d'un possible manquement à sa propre vie.
Un programme ravissant, clairement. Aaron ne cachait plus la joie dans ses expressions, n'en ayant finalement plus aucune face à son quotidien mentalement épuisant. Durant plus d'un mois déjà, il s'était retrouvé en épreuve d'endurance, craignant désormais plutôt un énième changement concernant James auquel il devrait s'adapter à nouveau sans en avoir le choix, que d'être en danger à ses côtés. Cette idée était toujours présente dans un coin de sa tête, mais le risque qu'elle se réalise s'estompait maintenant au fur et à mesure que le temps passait.
«Jeune homme, rangez cette cigarette.»
L'infirmière toisait James du regard, assise à sa chaise face à des documents qu'elle faisait semblant de trier une minute auparavant, comme à chaque rare fois où elle faisait à cette petite pièce l'honneur de sa présence. James ouvrit la petite porte de service sur sa gauche et fit un pas en arrière vers la petite allée, avant d'allumer son briquet et sa barre de tabac sereinement, non sans lâcher du regard la quarantenaire assise.
«Jeune homme, encore une fois, il est inter-
- Il n'est pas dans l'enceinte de l'université.»Le ras le bol avait parlé à la place d'Aaron. Il avait déjà été témoin trois fois de cette conversation, où les deux premières fois résultèrent en un avertissement puis une expulsion temporaire, qui se vit magiquement annulée au bout d'une journée. La troisième fois, l'expulsion fut réfutée par ce même argument par le fauteur de trouble lui-même, James ayant découvert cette technique en observant l'infirmière prendre sa pause clope de la même façon. À un détail près, il l'imita aujourd'hui à la perfection, hormis le fait qu'il projetait volontairement sa fumée directement dans la pièce en face de lui.
Aaron souhaitait seulement un peu de silence et préféra intervenir pour les faire taire que de mettre de côté son seul moment de répit de la journée. Il ne se posait pas de questions lorsqu'il s'agissait de parler à quiconque, sauf à James. Le simple fait d'ouvrir la bouche devant lui l'exaspérait et semblait lui demander plus d'énergie que de simplement prendre la fuite. Une répétition devenue un réflexe inconscient, il faisait aussi son possible pour couper court toute conversation où James communiquait avec autrui, de peur qu'il ne s'en prenne aussi à eux. S'il pouvait éviter à d'autres de se mettre inutilement en danger en se le mettant à dos, ce serait pour le mieux. Peu fervent de l'idée de faire de ses soucis une cause sociale, il préférait être le seul à avoir des problèmes avec cet individu dangereux. Même si cela voulait dire qu'il était le seul au courant.
Inconsciemment, il faisait grandir une habitude, mais aussi une forme d'égoïsme et un genre de fierté quant à son endurance au stress. Il avait tenu jusque là. Il avait maintenu sa façade jusqu'à ce moment, alors il s'efforcerait de continuer. Et ce même sans savoir jusqu'à quand, ni jusqu'à quel point il était capable de tenir.
«Aaron, ne pleure pas. Bientôt ce sera fini.»
Pourquoi bientôt ? Je dois toujours attendre. Pourquoi pas aujourd'hui, tout de suite ? Je dois encore le supporter. C'est tous les jours pareil, je dois encore attendre. Je ne comprends pas. J'attends mais rien ne change. Elle ne fait rien. Elle ne cherche rien. C'est moi qui dois attendre, est-ce que c'est ma faute ? Je ne sais pas quoi faire, je dois patienter.
Mais j'ai mal, tous les jours. Je dois patienter et même l'attendre, elle. Si il n'est pas content elle prend encore plus de temps. Je dois toujours attendre, mais qu'est-ce qui va changer ?Un jour, j'ai tellement attendu. Elle avait du mal à marcher comme d'habitude, mais elle avait du liquide rouge sur la jambe. Elle a remplacé mes pansements, et elle a pleuré. J'ai tellement attendu, est-ce que c'est ça que je devais attendre ?
Normalement, c'était rouge ou blanc sur elle, ça a changé. Aujourd'hui, elle avait des larmes transparentes sur le visage pour la première fois.«..Maman, c'est fini ?»

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forbidden touch
Romance« Recule. J'ai dit, RECULE ! » ※ Aaron ne le supporte pas. Ça le brûle. Il en est terrifié et il ne veut plus y refaire face. Il a peur du contact physique.