7. Silence

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Aaron ne fit pas de cauchemars cette nuit.

Tout simplement car il ne parvint pas à trouver le sommeil. Savoir Clay dans son appartement l'avait stressé toute la nuit, et il ne cessait de s'imaginer que celui-ci voulait sa mort. Même en ayant prit soin de fermer discrètement la porte de sa chambre à double tour, il n'arrivait pas à se sentir rassuré. Clay n'avait fait aucun bruit depuis qu'Aaron avait quitté le salon, mais une chose certaine était qu'il n'avait pas quitté l'appartement.

Aaron passa la nuit à tendre l'oreille et à tenter de comprendre ce que cet intrus cherchait à accomplir.
De son côté, le faux nommé James en était déjà à sa troisième cigarette de la nuit, scrutant la porte d'entrée. Il semblait s'être préparé à ce qu'elle s'ouvre à un moment donné, et se tenait éveillé en tirant la nicotine de ses cigarettes à un rythme régulier. Son amusement de la soirée avait fui dans sa chambre, dont il avait évidemment entendu la porte se fermer à clé. Il continuait cependant de s'amuser, en restant dans cet appartement tout en maintenant le plus grand des silences. Il voulait faire peser ce silence, et faire augmenter la panique qu'il avait vue dans les yeux d'Aaron, mais surtout cette peur qu'il avait provoqué chez lui.
Étonnement, il prenait plaisir à effrayer cette personne, et voulait la pousser à bout. Il ne savait par quel moyen, mais tout cela le faisait se sentir bien. Imposer une frayeur et par le même biais sa supériorité le faisait se sentir bien. Il ressentait une joie sadique grâce au jeu qu'il avait lui même mit en place. À cette pensée, un rictus vicieux s'installa sur son visage.

Aaron se réveilla très peu serein et s'assit sur son lit. Durant la courte sieste qu'il s'était accordé, il avait juré entendre Clay rire dans son salon.

Rien qui ne le rassurait.

Son anxiété se mélangeait peu à peu à un ras le bol, ce qui le rendait presque agacé. Il avait déjà un trop plein de cette peur désormais quotidienne, qui semblait n'avoir aucune fin. Il se demanda alors ce qu'il avait pour que tout cela lui arrive, lui qui n'avait pourtant rien fait qui puisse amener quelqu'un à lui en vouloir. Mais il savait combien une personne pouvait être dérangée, au point de s'attaquer à des innocents sans raison valable. Alors il ne pouvait que déduire que Clay était l'une de ces personnes qu'il ne pouvait comprendre.

Sa peur surpassant actuellement son indignation, elle le mena à rester enfermé dans sa chambre toute la journée. Lui qui ne se permettait que très rarement de sortir de son appartement, il était maintenant confiné dans une seule pièce de celui-ci.

Surconfiné.

Mais, ne se voyant pas faire face à la personne anormale dans son salon, il patienta alors dans le silence, seul dans sa chambre. Il attendait un quelconque bruit, lui indiquant que l'intrus serait parti. Au bout de deux heures, il en vint à se demander si cette personne était encore vivante. Car après le rire qui lui avait glacé le sang la veille, il n'avait plus rien entendu.

Clay ayant déjà fait le tour des lieux et observé chaque pièce en détail, il commençait à s'ennuyer.
En y repensant, il s'était déjà ennuyé toute la nuit. L'ouïe fine, il avait entendu comme du mouvement vers la chambre d'Aaron et se demanda s'il se déciderait un jour à sortir de sa cachette. Alors dès qu'il eut entendu une serrure tourner, il s'était déjà levé pour se poster devant la porte. Aaron eut un nouveau mouvement de recul en découvrant la silhouette de Clay juste en face de lui. Il regrettait déjà d'avoir cédé à sa curiosité.

Clay, semblant très amusé par cette réaction, affichait un grand sourire. Il avança d'un pas vers Aaron, qui en recula de deux. Il ressentait de plus en plus de satisfaction à le terrifier, à la limite du sadisme.
Décontenancé, Aaron fronça d'abord les sourcils, avant de soupirer avec un air lassé. Il se redressa et se força à reprendre confiance en lui, contournant Clay pour se rendre dans sa cuisine. Tromper les autres pour se tromper soi-même; c'était sa technique. Il réussît doucement à retrouver son calme, prenant discrètement de grandes inspirations pour se détendre.
Dos à son salon, il savait que Clay s'était affalé sur son sofa au lourd bruit qu'il venait d'entendre.

Le courage d'Aaron grandissait à mesure que son bacon noircissait dans sa poêle. Au moins, il préférait l'odeur de viande trop cuite à celle du tabac qui avait rempli son salon.
Une tranche de bacon cramée plus tard, il prit enfin la parole.

« Tu cherches quoi ?
- Pourquoi on veut ta mort. »

Oh. Quelle coincidence, c'était aussi ce que cherchait Aaron. Il ne pouvait déterminer si Clay se moquait de lui ou s'il était sérieux.
Décidant d'ignorer ce qu'il venait d'entendre, il prit son assiette avant d'aller s'asseoir face à sa petite table à manger. Il vit Clay se lever et se diriger vers lui à nouveau, avant de remarquer que celui-ci avait une fourchette en main.

Sous le regard perturbé d'Aaron, l'autre se permit de piquer un bout de son repas, de la façon la plus relaxée possible. Il mâcha pendant quelques instants, avant de pointer une main à plat vers la personne qui le fixait, et de l'incliner lentement plusieurs fois en faisant la moue. Puis, toujours aussi tranquillement, il tira la chaise de l'autre côté de la table et s'y assit.

« Moyen, la viande cramée.»

Aaron ne pouvait qu'admirer le culot présent en cette personne, qui ne cessait de le choquer. Il s'en rendait doucement compte : son anxiété commençait à s'estomper, et elle laissait définitivement la place à l'irritation qu'il avait envers Clay. Son comportement n'était pas seulement  étrange, mais il était certainement agaçant. Il avait réussi à couper l'envie de manger d'Aaron.
Celui-ci laissa donc Clay terminer son plat, tout en le fixant avec un regard déconcerté ainsi qu'un sourcil levé. Il avait abandonné toute idée d'insulter Clay, bien que ce n'était pas l'envie qui lui manquait.
Ce qui le retenait d'appeler qui que ce soit, de le renvoyer de chez lui, de montrer qu'il avait peur ou même de laisser entrevoir une simple hésitation, c'était cette petite fierté liée à cette frayeur un peu trop grande. Il voulait garder la tête haute et afficher un profil sûr de lui. La fausse confiance en soi qu'il avait ainsi mise en place était ce qui lui avait permit de bien s'en sortir jusqu'à présent, et de céder beaucoup moins souvent à ses crises de paniques. Il arrivait à garder le contrôle de soi, dans des situations que d'autres jugeaient basiques mais qui l'effrayaient. Berner l'autre pour se berner soi-même, encore.

Alors, encore une fois, il revêtait cette façade et s'emplissait de courage, afin de faire face au nouveau problème face à lui.

Mais Clay avait bien comprit que cette assurance était factice, et comptait bien jouer avec jusqu'à ce que la peur soit la seule chose visible sur le visage d'Aaron.
Lui qui n'avait pas pour habitude de faire du mal aux autres, il s'était trouvé un passe-temps auquel il n'aurait jamais pensé. Combiné à sa curiosité par rapport à l'événement de jeudi soir, le divertissement malsain qu'il avait découvert l'amusait encore plus.

Et il comptait encore s'amuser pendant un certain temps.

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