10. Bancal

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Aaron ne portait plus attention au cours.

Il avait remarqué que Meldann s'était assise à côté de lui et non un rang devant lui, et qu'elle fixait désormais Clay. Il avait redouté ce moment mais s'y attendait déjà.
Meldann étant têtue et fixée sur son cas, il était presque normal qu'elle remarque qu'il y ait un problème. Il avait compris qu'elle souhaitait désormais éloigner Clay d'eux car elle ne le portait pas dans son cœur, mais il ne voulait pas qu'elle s'inclue dans ce souci assez particulier.
Il avait essayé tant bien que mal de paraître serein et calme, affichant sa fausse assurance un peu plus qu'auparavant afin de la duper, mais il était évident que cela n'avait pas fonctionné. Il semblait même que sa technique ait eut l'effet inverse.
Il pensait avoir tout fait pour agir comme d'habitude, mais peut-être en avait-il trop fait ?
Meldann avait bien l'œil pour ce genre de choses, surtout quand cela concernait son protégé Aaron.

Alors il ne fut pas surpris lorsqu'il la vit se lever dès qu'il quitta sa chaise, avant de le suivre précipitamment.
Il se rendait simplement aux toilettes, mais elle agissait comme s'il était prêt à quitter le pays.

« OK. Parle. »

Elle avait fermé à double tour la cabine de toilettes pour handicapé et se tenait bras croisés face à lui.
Être enfermé dans un lieu clos avec une personne ne le rassurait pas le moins du monde, mais ce n'était pas la préoccupation actuelle d'Aaron.
Bien qu'il ne se sentait pas à l'aise de se retrouver coincé avec une autre personne dans un lieu si petit, celui-ci n'était qu'à moitié rassuré de se cacher pendant un moment de son cher ami James.

Son anxiété en arrivait au point où il appréhendait que James ne lui fasse du mal s'il faisait une seule chose de travers. Il s'était tenu à carreaux ces dernières semaines, respectant des règles que personne n'avait défini.
Il pensait fermement qu'il ne devait rien faire qui ne sorte de l'ordinaire, craignant de provoquer la colère de James. Et inconsciemment, il n'osait plus l'appeler de son vrai nom, même dans ses pensées.

« Y a un truc qui va pas, hein ?
- Et ce truc te dérange aussi. »

À un détail près, c'était véridique. Ils étaient stressés par la même personne, le même élément perturbateur. Il était apparu dans cette classe comme par magie, et personne à part eux ne semblait réellement concerné par ce changement. De quoi augmenter un peu plus la méfiance face à cette personne.

Meldann parut décontenancée un petit moment. Elle avait directement pensé qu'il s'était passé quelque chose du côté d'Aaron, mais n'avait pas imaginé qu'il pouvait simplement être stressé pour les mêmes raisons qu'elle. C'est vrai qu'elle n'avait pas eu besoin que ce James ne lui fasse quoi que ce soit pour directement l'avoir dans sa ligne de mire. Le personnage était déjà ... particulier.
Mais Aaron lui paraissait bien trop différent. Pour qu'il ait un comportement aussi changé, il devait y avoir quelque chose de plus. Il fallait juste qu'elle mette le doigt dessus, qu'elle comprenne.

« Tu retournes souvent à l'infirmerie et tu sèches la moitié des cours à cause d'un ptit nouveau ? »

Elle savait bien que la réponse à sa prochaine question serait "oui", mais s'obstina quand même à la poser.

« Il s'est passé quelque chose que je sais pas ? »

Aaron envisagea un instant de lui expliquer ce qu'il lui arrivait.
C'était une bonne personne au fond ; elle comprendrait, pas vrai ? Mais comment est-ce qu'elle réagirait ? Et si jamais elle en faisait un scandale ? Elle haïssait déjà bien assez James comme ça. Elle aurait été capable de se battre avec lui.
La fixant tout en réfléchissant; dans le regard pressant de Meldann, Aaron percevait une inquiétude sincère. Peut-être devrait-il la mettre au courant, en fin de compte. Il ne voudrait pas la laisser s'inquiéter pour lui plus qu'elle ne le faisait déjà.

Mais c'est finalement par manque de courage qu'il sortit en silence de cet espace réduit.
La peur de représailles avait prit le dessus sur l'envie de se confier. Bien que James n'agisse pas différemment, Aaron sentait que tout pouvait basculer en un instant. La présence pesante qu'il lui imposait au quotidien était pour lui une menace constante. Il avait réussi à trouver un moyen de contourner un maximum son persécuteur, et ne pouvait se résoudre à laisser tomber tant d'efforts seulement pour en informer une camarade. D'autant plus si celle-ci risquait d'aggraver l'affaire par la suite.

Il se rassurait en se disant qu'il épargnait Meldann, bien qu'en réalité c'était sa propre peau qu'il essayait de sauver.

C'était un comportement que la peur lui imposait depuis très jeune : être centré sur soi-même, ne sauver que sa personne. Sa peur d'autrui n'aurait en aucun cas pu développer chez lui l'envie de protéger les autres. Il redoutait leur contact, comment pourrait-il privilégier leur vie à la sienne ?
N'en étant pas totalement conscient, Aaron continuait de penser qu'il épargnait aux autres de rencontrer des soucis. C'est comme ça qu'il fonctionnait, c'est comme ça qu'il avait été forgé.

« Ne cause pas de problèmes, Aaron. Tiens toi à distance. »

Le souvenir éprouvant de sa mère lui répétant cette phrase lui était revenu, alors qu'il observait pour la énième fois James se délecter d'un dîner cuisiné de ses propres mains.
Aaron n'avait rien fait pour causer de problème cette fois, et les soucis s'étaient pourtant présentés à sa porte.

Il ne savait pas vraiment où se placer ni comment se comporter face à James.
Tantôt il le craignait, tantôt il se sentait agacé. Une chose était certaine pour lui : il ne pouvait pas le supporter.

James ne lui ajoutait qu'un poids supplémentaire. Il prenait assez sur lui en temps normal en essayant de mener un semblant de vie en société,
et il devait maintenant subir le même stress une fois chez lui. Aaron ne savait s'il devait parler de malchance ou de malédiction, mais c'était bien le dernier des malheurs qu'il aurait souhaité avoir.
Perturbé dans son propre foyer, envahi dans son propre espace. Il avait l'impression de fournir un hébergement contre sa volonté.

James avait prit ses aises et Aaron avait changé ses habitudes.
Leur collocation bancale était imprégnée de frustration, de colère et d'anxiété.
Aaron qui craignait James dans le fond de sa conscience, ne ressentait plus que de l'exaspération une fois face à lui. Le voir agir comme si de rien n'était le sidérait un peu plus chaque jour. Il ne comprenait pas la direction dans laquelle la situation se dirigeait. Et il avait bien l'impression que James n'avait aucun objectif en tête, autre que de l'irriter répétitivement.

De son côté, Clay cherchait encore à comprendre Aaron. Il continuait évidemment à le perturber, tout en se posant des questions à son sujet. Mais il avait remarqué la frayeur dans son regard se disperser, et ne se sentait plus du tout en supériorité face à lui. Par moments, il avait même pu apercevoir un dédain présent dans le regard d'Aaron.
Il n'avait plus de jeu, plus de proie. Celle-ci semblait même être agacée de sa présence, désormais. Il avait bien ressenti ce changement de comportement chez Aaron. Il s'était habitué à lui maintenant, il ne le craignait plus autant.

Pourtant, Clay le voyait toujours angoissé, prêt à prendre la fuite en tout instant, et se tenant à l'écart des autres dès que c'était possible.
Il avait vraiment cru à une timidité au début, mais Aaron se comportait parfaitement dès qu'il s'impliquait dans une conversation. Seul son language corporel indiquait l'inverse.

Clay ne s'empêchait pas de suivre les agissements et déplacements d'Aaron. C'était ce qu'il faisait matin et soir. Il analysait constamment Aaron, oubliant totalement son jeu de proie et de peur. Il était totalement intrigué par ce fonctionnement. Aaron lui paraissait différent, d'une manière qu'il n'avait jamais observée auparavant.

Devenir une ombre de peur dans le regard d'Aaron ne lui plaisait plus ; non pas car ses techniques ne marchaient plus, mais bien parce qu'il s'était retrouvé piqué d'intérêt par ce qu'il constatait quotidiennement.
Sans s'en rendre compte, il avait oublié son idée du tout puissant effrayant. Devenir le grand méchant loup n'avait plus aucun intérêt, le chaperon rouge était bien trop différent.

Il n'avait jamais rencontré une personne si intriguante auparavant.

forbidden touchOù les histoires vivent. Découvrez maintenant