8. Constance

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Chaque jour rendait Aaron plus mal à l'aise que le dernier.

Il avait dû supporter la présence de Clay toute la semaine, que ce soit en cours, chez lui, et quelque fois même dans la rue.
Il se réveillait désormais anxieux, ne parvenait plus à se concentrer en classe, et redoutait à chaque instant de tomber sur Clay. Et chaque fois qu'il se retrouvait face à lui, il devait faire un travail énorme sur lui-même pour réussir à garder son calme.

Au début, il essayait de contenir sa peur ainsi que son stress ; mais au fil des jours, il retenait de plus en plus cette exaspération grandissante, menaçant de lui faire perdre le contrôle sur soi. Il arrivait de moins en moins à supporter ce parasite.
Il voulait être tranquille rien qu'un instant, sans se savoir constamment observé. Il voulait que Clay cesse de le suivre, qu'il aille se chercher une autre victime et qu'il aille s'éclater ailleurs.

Car il avait bien constaté que son envahisseur était satisfait de le voir perturbé. Chaque fois qu'Aaron laissait entrevoir sa crainte, il remarquait le regard de Clay s'éclairer et un sourire se former sur son visage. Il avait remarqué que Clay était content dès qu'il se sentait perturbé. Ce vendredi, il n'avait pas réussi à garder cette façade de confiance et avait alors laissé émerger un mélange de panique et de frustration. Il avait presque élevé la voix sur Clay, et quand il s'en rendit compte, celui-ci était à nouveau en train de sourire.
Il ne s'était d'ailleurs pas empêché de rigoler lorsque Aaron essaya de reprendre son calme à l'aide de grandes respirations. Clay se moquait ouvertement d'Aaron, presque tous les jours. Et cette moquerie ne facilitait pas la tâche à la victime paniquée face à ce persécuteur.

Aaron perdait doucement sa patience et sa raison, tandis que Clay profitait pleinement de cet égayement désormais quotidien.
Car, y ayant prit goût, cela faisait désormais 2 semaines qu'il perturbait volontairement Aaron.

Lorsque celui-ci s'enfermait dans sa chambre, Clay faisait à nouveau le tour de son appartement faisant tomber à terre des objets par ci, par là. Il profitait ensuite du spectacle, allongé sur le canapé et feignant de dormir, épiant Aaron ranger dans un silence anxieux ce désordre.
Durant leurs heures de cours, il le fixait sans relâche, rigolant de temps en temps sans aucune raison apparente. Il le suivait également dans les couloirs et partout où il se rendait.
Même lorsque Aaron, rassemblant son courage entier, sortait finalement de son appartement pour se rendre dans la rue, il pouvait être certain qu'il serait suivi par Clay ou qu'il le croiserait à un coin de rue.

Aucun répit, et surtout aucune sérénité d'esprit. Voilà ce que devait supporter notre homme importuné, depuis maintenant plusieurs semaines.
Alors certes, il était troublé par cette situation, mais avait fini par s'y habituer. Il se disait qu'il pouvait le supporter, lui qui subissait un stress constant, forcé de vivre parmi les autres. Il reussît à se convaincre en se disant que ce n'était qu'une autre personne bizarre comme tant d'autres. Et il avait compris qu'il lui suffisait d'ignorer Clay pour que celui-ci n'ait plus moyen de le déranger, tout simplement.

Désormais, il agissait comme s'il n'existait pas, quelle que soit la technique que Clay employait pour le perturber. Il ne le regardait pas, ne lui parlait pas, et évitait par tous les moyens de passer trop près de lui. S'il évitait le contact avec les autres, ce n'était pas pour aller toucher accidentellement un potentiel meurtrier. C'était désormais quotidien pour lui de se lever et de se coucher dans son propre appartement sachant ne pas être seul. Il avait aussi l'habitude de sentir un regard persistant sur lui, tout au long de la journée. En ignorant Clay et en s'efforçant d'oublier ces actions troublantes, il ne parvenait presque plus à afficher cette façade de confiance qu'il maîtrisait tant jusque là. Mais en y repensant, il se disait qu'il n'avait plus à se forcer à être confiant, tant qu'il ne devait plus faire face directement à Clay. Pourtant, grâce à ce faux-semblant difficile, il avait doucement réussi à diminuer son angoisse et sa frustration. Et en observant bien, on pouvait même dire qu'il les avait transférés à Clay.

Effectivement, depuis quelques jours, celui-ci s'interrogeait sur Aaron. Il avait évidemment comprit qu'il se faisait amplement ignorer, et ce n'était pas pour le ravir. Lui qui se plaisait tant à rire de lui pour le déstabiliser, il voyait désormais qu'il n'avait plus aucun impact. Ses options de jeu s'étaient réduites devant ses yeux et sans qu'il ne s'y attende. Pourtant, il avait toujours envie de perturber sa proie. Mais désormais, il voulait comprendre cette proie, car il lui trouvait quelques aspects perturbants.

Il s'était d'abord demandé comment un mec banal comme lui avait pu se retrouver dans ce genre de cas '' spécifique '', avant de s'interroger entièrement sur la personne en question.
Il avait remarqué qu'Aaron ne sortait pas, même pour faire ses courses. Il se faisait tout livrer, que ce soit vêtements, nourriture et même fournitures. Clay l'avait observé ouvrir la porte au livreur qui lui apportait de nouvelles assiettes, remplaçant celles qu'il avait volontairement cassées. Également, il avait trouvé à Aaron un comportement vraiment étrange: il lui semblait qu'il évitait à tout prix de s'approcher des gens, et il avait observé plusieurs fois une expression de crainte se former sur le visage d'Aaron dès qu'une personne s'approchait de lui. Il avait d'ailleurs remarqué Aaron se tordre de façon à attraper son colis en s'approchant le moins possible du livreur. Quand il lui avait demandé de signer, même démarche : toute une mise en œuvre afin d'être le plus loin possible de la personne, et ne pas entrer en contact avec lui. C'était comme si Aaron avait tout aussi peur des autres qu'il n'avait peur de Clay.

Et c'était bien de là que venait sa frustration. Le grand joueur qu'était devenu Clay ne pouvait supporter de savoir qu'il n'était pas le seul à effrayer sa cible. Pour lui, c'était tout comme se faire voler la vedette d'un spectacle portant son propre nom. Il voulait être le seul maître de table, le seul à pouvoir augmenter excessivement la peur d'Aaron.
Cette expression paniquée qu'Aaron essayait de dissimuler, il voulait la décupler et voir cet homme couler sous la peur. En venir à bout.
Pendant de brefs instants, Clay se demandait s'il n'allait pas un peu trop loin dans ce jeu ; mais il revenait vite à son état d'esprit malsain, qui le poussait jour après jour à continuer de perturber Aaron.
Il se sentait bien. En persécutant les autres comme il avait été persécuté.
Il se sentait fort. En utilisant une menace floue et muette qu'il avait bien subi.
Il se sentait puissant. En inspirant la peur et la crainte dans laquelle il avait été éduqué.

Alors il ne comptait pas lâcher Aaron de sitôt. Mais surtout, il voulait comprendre avant d'attaquer à nouveau. Pourquoi s'éloignait-il autant des autres ?
Non.
Pourquoi avait-il autant peur des autres ?

Ce genre de questions sans réponse imminente tapait sur les nerfs de Clay, d'autant plus qu'il ne pouvait plus parler directement avec Aaron. Si on peut appeller "parler" les pics qu'il lui lançait à longueur de journée, bien sûr.
Remarquons que 3 semaines auparavant, c'était leur seule façon d'échanger.
La préoccupation actuelle de Clay (plus grande que de trouver de quoi allumer sa 5ème cigarette de la journée), était d'obtenir à nouveau cette réaction si particulière d'Aaron.
La satisfaction que lui apportait cette expression d'effroi sur le visage d'Aaron était presque devenu une addiction pour lui. Il voulait la revoir, encore et encore. Et il continuerait à le terrifier, encore et encore.

Il voulait être supérieur à quelqu'un, pour une période que lui seul pourrait décider.
Être au dessus des autres, pour la première fois de sa vie.

forbidden touchOù les histoires vivent. Découvrez maintenant