Chapitre 11

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Lee

Il y a plusieurs façons de sortir d'une situation de merde. Fuir ou affronter. Partir ou rester. Le plus facile c'est de fuir. Enfin ça c'est ce que tu crois sur le moment. En réalité, tes problèmes finissent toujours par revenir. Tu as beau partir, un jour ou l'autre, quoi que tu fasses pour les fuir, ils reviendront. Où que tu ailles, ils te suivront à la trace. Pourtant, je continue à marcher. Je fuis. Je sais pas quand est-ce que ça me retombera dessus. Je sais pas comment ça va se passer avec Gary lundi. Ça me fait un peu flipper d'ailleurs mais parfois, la seule chose qui reste à faire c'est partir. C'est hyper lâche. Mais qui a dit que j'étais courageux ?

Je serre les poings dans mes poches. Qu'est-ce qui m'a pris d'aller à cette foutue soirée ? Et pourquoi Sarah voulait y aller ?! Elle aurait pas pu attendre un autre moment pour voir ses amies ? Un moment où Gary était pas là. Pourquoi il a fallu qu'elle me demande de l'accompagner ?!

Je continue à marcher. J'ai froid. Il fait nuit. J'ose même pas imaginer la tête de mes sœurs et de ma mère quand je vais rentrer dans cet état pitoyable.

Et puis j'ai la haine. Il y a ce truc qui me consume. Ce sentiment qui me rend ouf. J'ai la haine contre tous ces vieux. Nos parents, nos familles, nos grands parents, tous ces gens qui ont rien fait. Ces gens qui ont rendu la vie si difficile. Faut se battre pour ce qu'on veut. Faut se battre si on veut porter ce qu'on aime. Faut se battre pour qu'on soit pas défini par notre couleur de peau. Faut se battre pour être soi-même. Faut se battre contre nous-mêmes pour s'accepter. Et je sais pas si c'est cette pluie ou ce vent froid qui me monte à la tête mais je me rends compte seulement maintenant que j'ai la haine. Je suis en colère. J'en veux à tout le monde. À M. Robert. À Gary. À Olivia. À tous ces vieux. Qu'est-ce que ça peut foutre si certaines personnes aiment porter des jupes courtes, des crops tops, des décolletés ? C'est pas parce qu'ils se sont enfermés dans tous ces codes de merde qu'ils doivent faire la même chose avec nous.

Et puis, j'en ai marre qu'on me dise que je peux pas comprendre. Je suis pas une femme, mais je suis humain, bordel !

Et si j'ai pas envie d'être fort, de jouer au foot, de courir de partout. Si j'ai envie de pleurer. Si je veux pas dominer. Si je veux pas d'une grande baraque avec un chien qui ressemble à une serpillière et une femme qui me fait à bouffer. Si j'aime les belles phrases. Si j'ai envie de soutenir les femmes. Qu'est -ce qu'ils vont me faire, hein !? Me traiter de gay, de féministe à la con, de tapette ? C'est déjà fait.

C'est si dur de comprendre que les hommes ne sont pas tous de gros pervers violents ? Je suis un homme, et bordel c'est compliqué. Tout comme c'est complexe d'être une femme. Finalement, le genre c'est qu'un détail. La réalité c'est qu'on souffre comme des cons tous plus ou moins. Alors pourquoi diviser encore ? Putain j'en ai ras le cul. Je veux pas de cette vie. Je veux pas avoir des enfants, avoir un bon boulot, de la tune, un toit sur la tête, économiser, aller au resto tous les vendredis et manger tous les dimanches chez les parents de ma petite amie. Je veux pas devenir vieux et con, sortir des phrases du genre : "C'est la vie, c'est comme ça, on peut rien y changer." Je veux pas être résigné à vivre une vie de merde.

Je veux pas mourir à soixante-quinze ans en regrettant d'avoir rien fait. D'avoir fait seulement ce que les autres attendaient de moi. Je veux pas mourir en sachant que c'est de ma faute si tous ces gosses auront un monde de merde.

Et si Medhi avait raison ? Peut-être qu'essayer, ne pas accepter, c'est déjà changer le monde. Je suis peut-être un de ces putains de connards qui rit aux blagues sexistes de ses potes, qui suit les autres. Mais qui a la putain de prétention de dire qu'il n'est pas un mouton ? Qu'il n'a jamais eu peur du regard des autres ?

On peut changer. Les choses peuvent changer. Il faut juste qu'on bouge notre cul et qu'on arrête de penser qu'à nous.

Sarah avait raison. Il faut que je fasse un choix. Pendant tout ce temps, il y avait ces deux parties qui s'opposaient. Et cette partie de moi qui voulait se lever, je l'ai défoncé, je l'ai enterré. Je voulais pas qu'elle soit là. Mais on peut pas fuir éternellement. Et je crois que le seul moyen de régler une situation de merde c'est de l'affronter. Je peux pas passer ma vie à cacher cette partie. Puisque c'est ce que je suis. Elle a toujours existé mais il faut que je la laisse prendre toute la place.

Je pensais qu'à ma gueule. J'ai rien dit quand Jane se faisait humilier. J'ai rien dit une fois que c'était au tour de Maddie. J'ai fermé ma bouche. Parce que ça me concernait pas. Et je voulais pas que ça me retombe dessus. En gros, c'était terriblement égoïste. Mais ça peut pas continuer.

Je marche encore. Mon téléphone n'arrête plus de vibrer. Je finis par l'éteindre. Il n'y a plus personne dehors. En même temps qui, à part un suicidaire ou un mec complètement taré comme moi, sortirait sous ce temps de merde ? Il me reste encore vingt minutes de marche, je vais crever de froid.

Des jeunes passent en voiture, ils écoutent de la musique à fond et dansent. Ils ont l'air heureux. Je serais presque jaloux, ils sont au chaud, ils ont pas à se taper toute cette route sous la pluie, et ils sourient. Ils sont pas seuls à se faire des discussions existentielles complètement bidons et pathétiques.

Eux aussi ils me mettent en colère. On croule sous toutes ses règles débiles et qu'est-ce qu'ils font pour changer les choses ? Qu'est-ce qu'on fait à part se plaindre ? Au final, on est tous coupables. Vieux, jeunes, adultes, ados, femmes, hommes, c'est pareil. On nous a laissé un monde tout pourri mais on fait rien pour que ça change.

Et le pire, c'est de savoir qu'au fond, t'es pas en colère contre tout le monde. C'est toi que tu détestes. Parce que t'as rien fait alors que s'il y a bien un truc que tu peux contrôler c'est tes choix. C'est à toi que t'en veux. Et à personne d'autre. C'est toi le coupable et tu le sais même si tu veux pas l'avouer. Parce que tu peux pas changer le monde mais tu peux te changer, toi. En plus, quoi que t'en dises, t'aimes le monde, t'aimes les gens même si ça tourne pas très rond.

Cette marche aussi merdique qu'elle soit m'a permis de comprendre un truc. Je peux pas continuer. Pas grave si ce que je suis ou ce que je pense dérange. Qu'ils aillent se faire foutre. Je peux pas continuer à me la boucler. J'ai des choses à dire. Ça va sûrement pas plaire. Je sais pas comment je vais m'y prendre mais je vais le faire. Je vais me réveiller, me secouer parce que c'est la seule chose qui reste à faire.

Quand j'arrive enfin devant chez moi, je suis trempé, je grelotte comme un con. Mes sœurs et ma mère se ruent sur moi et commencent à me poser mille questions. J'en avais même oublié mes blessures avant qu'elles m'en parlent. Elles attendent des réponses mais la seule chose que j'arrive à faire c'est regarder Kim Cuc et lui dire :

- T'as raison. Il faut que j'aide Maddie.

Il y a plusieurs façons de se sortir d'une situation de merde. Fuir ou affronter. Partir ou rester. On croit que le plus facile c'est de fuir mais en fait c'est que momentané. La réalité finit toujours par revenir.

J'y ai cru moi aussi. Que je pourrais y échapper. Echapper à cette petite voix qui culpabilise. Echapper à cette partie de moi qui est contre Gary et ses remarques. Echapper à ce que je suis au fond de moi. Je fais ça depuis toujours ; fuir. Mais c'est le moment d'affronter.

Il est temps de commencer la révolution.

Confessions d'un féministeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant