Chapitre 1

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Et c'est reparti pour un tour.

Le stress, l'estomac qui se noue à en avoir envie de vomir.

L'excitation, l'aboutissement d'un long travail.

La pression, l'intensité pour un moment si court.

Je passe une dernière inspection sous l'œil expert du grand patron. Il me juge très clairement. C'est le créateur de la tenue, un peu excentrique, que je porte ce soir. Evidemment, c'est son œuvre, il a le droit de vouloir le meilleur. Mais son regard, presque sale, sur moi, me dérange.

Accompagné de son assistante, à laquelle il braille des ordres, il m'inspecte. La pauvre jeune femme fait de son mieux pour corriger les derniers défaut de ma tenue, de mes cheveux.

C'est le moment. Pas le mien, juste le moment. Moi je suis juste un support de présentation.

Le rideau s'entrouvre, à peine suffisamment pour que je me faufile avec grâce. En face, ma collègue revient en coulisse. J'ai l'impression de passer la tête par le hublot d'un bateau en pleine tempête. Je reçois une vague en pleine figure. Je suis instantanément submergée par ce qui m'entoure.

Les premiers mètres sur le podium sont les plus durs. Je trouve mon équilibre, perchée sur mes talons vertigineux et avance. Les chaussures me font un mal de chien, la tenue me serre et le tissu rugueux est désagréable. La chaleur dans la salle est intenable sous les projecteurs. Je suis douloureusement consciente de toutes ces sensations physiques.

Les regards sont tous braqués sur moi et je les sens peser sur mes épaules. Ces mêmes personnes m'éblouissent sans fin pour quelques clichés. Depuis toutes ces années, je devrais avoir l'habitude. Mais là, tout tourne au ralenti. Je distingue tous les flashs lumineux et tous les bruits des appareils. C'est étouffant.

Tout au long du défilé, mon visage reste de marbre. Rien de ce que je peux ressentir ne s'affiche. Je suis un peu comme une boxeuse sur un ring. Enfin c'est la sensation que j'ai. J'encaisse les coups, les demandes, les réclamations, faites à mon corps, sans broncher. J'attends qu'une chose, c'est que ça se termine. Pouvoir retrouver le calme de ma loge. Fuir les critiques qui me seront faites.

Juste après son passage, Laetitia se précipite en coulisse. Elle slalome entre les portants de vêtements et les grandes affiches de promotion pour éviter son boss. Sur le point de s'écrouler, elle atteint sa loge et s'y engouffre. Son premier réflexe est d'ôter ses talons. Puis sans l'aide de personne, elle descend la fermeture éclair qui l'enferme dans sa camisole. Et là, seulement là, elle se permet de prendre une grande inspiration, suivie d'une longue et profonde expiration. Ce simple geste la purifie de toute la toxicité de la soirée.

Dans le silence de la pièce, elle efface de sa mémoire ses passages sur le podium de ce soir et tous ces vêtements inconfortables. Elle efface également les cris de son patron, un type complètement toxique qui ne se rend pas compte qu'il a affaire à des êtres humains face à lui. Après dix-huit ans à travailler à ses côtés sur cette belle île qu'est la Corse, son île natale, il a presque réussi à l'en dégouter. Maintenant, tout ce qu'elle veut, c'est quitter ce bout de terre à tout prix.

Le seul point positif chez son patron, c'est son fils, Dumè. Un gars sympa, un peu Bon Chic Bon Genre, mais toujours respectueux, contrairement à son paternel.

À cette pensée, elle jette un œil à sa montre. Ce soir était le dernier soir de son contrat avant une belle semaine de vacances. Elle s'offre un séjour avec le joli Dumè. Mais attention, il se passe rien entre eux et il se passera jamais rien, comme elle dit. Ce n'est pas professionnel de sortir avec le fils du big boss. Et comme ce ne sont pas des vacances en amoureux, ils seront accompagnés par la ravissante Vanina, la cousine de Laetitia. Même si au début c'était Dumè qui était supposé être celui qui accompagnait les filles.

Un incroyable étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant