Pluie

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Pas un souffle de vent n'agite cette première après-midi de juin. Néanmoins le ciel s'assombrit, les nuages semblent se gonfler d'eau à vue d'œil et il flotte dans l'air tiède une odeur d'orage. Je profite du spectacle de la nature, accoudée au balcon, tout en écoutant d'une oreille distraite Eve, restée à l'intérieur.

_ C'est quand même pas banal, hein Cam ? Sa femme n'est pas encore au courant ?

Monsieur et Madame Pignon-Eugène ont l'air très pressé, ils courent presque. Ils veulent sans doute éviter la pluie qui menace.

_ Saperlipopette, vite Pépita, on va se faire saucer ! Scande le vieil homme.

_ Je fais aussi vite que je peux, mon loup ! Lui répond son épouse.

Waouh, les p'tits surnoms ! Je demeure immobile pour ne pas briser leur intimité, ils se croient sans doute seuls. Ils s'engouffrent dans le hall et disparaissent totalement.

Je sens l'air se rafraîchir d'un seul coup, je frissonne. Hum, j'adore ! Chaud, frais, chaud, frais, pluvieux. Une journée de juin dans le Nord Pas-de-Calais. Je penche la tête hors du balcon pour recevoir quelques gouttes sur le visage. Elles ruissellent lentement sur mon front, mes joues et se hasardent sur mes lèvres avant que d'autres entreprennent un chemin distinct. Je trouve cela très agréable, jusqu'à ce que je me laisse surprendre par une goutte tiède qui m'arrive droit dans l'œil, en plein dans le mille. Aïe !

_ Cam, tu m'écoutes ?

_ Heu ... répète !

Eve m'a sortie de mes élucubrations, et je me retrouve agressée par une goutte d'eau.

_ Tu ne m'écoutais pas, j'avais raison !

_ Il pleut ! Lui dis-je sans même la regarder.

Elle soupire avant de reprendre.

_ Tu crois que la femme d'Antoine sait ?

_ Aucune idée.

Ce soir, nous sommes officiellement invitées par Jérémie et Antoine. Maintenant que nous sommes au courant, il sera là, lui aussi. Il a sans doute raconté un mensonge à sa femme, pour être des nôtres. Yaourts en dessert, je suppose. Est-ce Antoine qui aura choisi le film ? Est-ce que l'ambiance sera différente ? Je continue à flâner en observant la vie de mon balcon. Mme Chanseaume rentre de son après-midi « Bridge ». Le taxi la dépose comme d'habitude au pied de notre immeuble et l'accompagne jusque l'entrée. La pluie fine a déjà cessé. Elle se déplace lentement en s'aidant de sa canne, le taxi lui propose son bras pour qu'elle se repose. Elle le repousse, digne et presqu'hautaine. Attention mon gars, tu joues avec le feu. Elle n'est pas impotente, juste vieille comme elle dit.

_ Alors, ma petite Camellia, on prend l'air ?

_ Bonjour Odette, bonjour monsieur ! Oui, je profite de l'éclaircie.

_ Vous viendrez prendre le thé, dimanche après-midi avec vos amis, si vous n'avez rien de mieux à faire, bien entendu ... j'ai l'intention de faire des madeleines ? Vous me raconterez vos histoires de cœur ! Glousse-t-elle de contentement.

_ Pas de problème, je vous tiens au courant.

Elle disparaît dans le hall de la résidence, alors qu'Eve réapparaît sur le balcon.

_ Tu parles à qui ? Tu me rappelles tes Tongue machin ?

_ À Odette, et c'est Tongue Twister !

Elle a le don de passer du coq à l'âne.

_ I love big blue balloons !

_ OK, écris-le, comme ça je vais m'entrainer à le répéter !

Elle s'empresse de me dégotter un stylo et un bout de papier. Je m'exécute et elle s'emploie à dire et à redire sans cesse la phrase.

Monsieur G, Mister Freeze et ColégramOù les histoires vivent. Découvrez maintenant