Pierre Bleue

CHAPITRE 16 - Déchirement

HARLEQUIN

La nuit n'allait plus tarder à tomber sur la forêt. Helbram, Aoishi et leurs compagnons étaient partis rendre visite à ce fameux colporteur dont mon meilleur ami nous parlait tant depuis un bon moment. Helbram faisait toujours en sorte de revenir avant l'arrivée du crépuscule, il me semblait alors logique qu'il en ferait de même en compagnie de l'humaine et de nos camarades... Enfin, si Aoishi nous avait mis au courant, Gerheade et moi, au sujet de cette visite qui ne l'enchantait guère, c'était pour assurer leurs arrières. Elle qui connaissait fort bien la cruauté humaine, elle aurait déjà rappliqué en vitesse si quelque chose de grave se passait, je n'avais donc aucune raison de m'inquiéter à l'heure actuelle. Peut-être passaient-ils simplement un bon temps tous ensemble et cet homme n'avait en effet aucune mauvaise intention envers Helbram et les autres.

Certains fées et elfes étaient également soucieux de ne pas voir le petit groupe revenir, je me chargeai alors de les rassurer en leur rappelant le stratagème de la jeune humaine. Elaine aussi était perturbée, bien plus que l'intégralité de nos compagnons d'ailleurs, peut-être pensait-elle qu'un malheur s'abattait sur nos amis et que tant qu'ils ne seront pas rentrés sain et sauf son anxiété persisterait. Une fois de plus mes tendres paroles de grand-frère bienveillant n'eurent que très peu d'effet sur elle, contrairement au reste de mon peuple. Je ne faiblis pourtant pas et restai tout de même à ses côtés pour poursuivre mes mots de consolations.

Le soleil était de plus en plus bas et le petit groupe n'était toujours pas de retour parmi nous. Pour la première fois depuis un moment, l'inquiétude commença à s'installer en moi. Pas autant que chez ma petite sœur, mais une légère anxiété qui ne cessait de grandir au fur et à mesure que le soleil disparaissait de l'horizon. Je convoquai alors Gerheade qui, tout comme moi, ne semblait plus aussi sereine que lorsque nos amis nous avaient quitté.

"Majesté, commença-t-elle avec une pointe d'appréhension dans sa voix, le crépuscule arrive à grand pas. Ne pensez-vous donc pas que nous devrions allez chercher nos camarades ?

- Le soleil était au zénith lorsqu'ils sont partis et voilà qu'il a totalement disparu de l'horizon, constatai-je à nouveau mais cette fois-ci à haute voix... Il serait en effet plus sage de les ramener ici de nous-même. Seulement, j'ignore où stationne ce colporteur.

- Helbram disait qu'il était à l'ouest d'ici, dans la même direction que le village dont il vient, à l'extérieur de la forêt évidemment.

- Bien, donc il suffit de nous diriger vers les derniers rayons du soleil encore visibles, c'est là que se trouve l'ouest.

- En êtes-vous sûr Majesté ? S'interrogea instinctivement mon assistante.

- Certain, Aoishi m'a expliqué que le soleil se levait à l'est et se couchait à l'ouest, c'est ainsi que les humains se repèrent dans leur environnement... Expliquai-je alors timidement.

- Bien, allons-y."

Je me redressai tandis que ma petite sœur me suivait des yeux, des yeux remplis de peur et d'inquiétude. Je passai brièvement ma main contre sa petite joue ronde en lui chuchotant quelques dernières paroles réconfortantes.

"Nous serons de retour très vite, ne t'inquiète pas."

Elle esquissa un léger sourire tout en déposant un énième fois son regard sur la Fontaine de Jouvence sur laquelle elle veillait inlassablement, jour et nuit ; ce qui m'empêchait de la laisser protéger la forêt par ses propres moyens en mon absence.

Gerheade et moi étions décidés à récupérer nos amis et de leur rappeler qu'ils devaient systématiquement revenir avant la tombée de la nuit. En temps normal, aucun elfes ou fées ne sont autorisés à quitter l'enceinte de la forêt sans raison valable, et une visite chez un colporteur n'en était pas une. Je faisais donc une exception, à contre-cœur certes, concernant l'excursion d'Helbram. Il était parfaitement inadmissible de sa part de rester autant de temps auprès de cet homme, surtout en compagnie de la jeune humaine ainsi que d'autres fées et elfes.
Nous étions en chemin vers l'ouest, traversant la végétation de plus en plus sombre tout en se laissant guider par les derniers rayons du soleil qui disparaissaient lentement eux aussi. Ce fut alors qu'une voix aiguë nous interpella, une voix remplie d'un effroi et d'une panique incontrôlables. Je fis volte-face pour confronter cet individu en pleine transe, c'était une toute jeune fée dont les yeux étaient plein de larmes et d'une terreur sans précédent. Elle se laissa tomber près de moi, comme si son corps ne possédait plus aucune force ; je l'enlaçai avec douceur.