Chapitre 2 (Ethan)

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D'un pas lent, je m'aventure dans les rues désertes du Centre de Londres. La cigarette tenue entre mes doigts se consume sans même que je n'y touche, une fois de plus perdu dans mes songes. Comment se fait-il que mon esprit soit hanté par les traits de cette femme ? Je ne peux m'empêcher de penser à elle, même si mes chances de la revoir sont infimes. Je ferais sans doute mieux de l'oublier.

Une nouvelle source de distraction serait la bienvenue pour occuper mon âme torturée, puisque l'inspiration est passée aux abonnés absents. Combien de toiles à peine entamées ont été détruites ces derniers jours, sous le coup de la frustration ? Beaucoup trop.

Je me débarrasse de la cigarette quand la chaleur du tabac brûlé vient caresser mes doigts. J'hésite à en sortir une autre, mais oublie rapidement mon envie lorsque je l'aperçois. Une grande blonde patiente devant le bâtiment où je réside. Joyce.

— Il ne me semble pas que nous ayons pris rendez-vous, dis-je froidement une fois arrivé à sa hauteur.

— Parce que maintenant j'ai besoin de passer par ta secrétaire pour pouvoir te voir ?

Elle tente de porter une main vers mon visage que je repousse d'une attitude lasse. Joyce laisse retomber son bras le long de son corps et soupire.

— Tu n'étais pas contre ma présence hier soir.

— J'avais trop bu.

— Ce n'est pas le cas ce soir ?

Sa réponse est cinglante, tranchante et me braque plus que je ne le suis déjà. Joyce semble immédiatement regretter ses mots.

— Désolée...

Une main enfouie dans la poche de ma veste, je m'empare de la clef qui me donne accès au hall du bâtiment. Je m'aventure à l'intérieur, suivi de celle qui est prête à s'offrir corps et âme pour me satisfaire. Malgré mon manque d'engouement, je ne cherche pas à la repousser. Je ne tiens pas à me montrer violent envers elle, même si au plus profond de mon être, c'est ce que je souhaite.

— Depuis quand joues-tu les espionnes pour ma famille ?

— Ils s'inquiètent pour toi et ils ne sont pas les seuls.

— Comme tu peux le constater, je me porte à merveille.

Côte à côte, nous grimpons les marches de l'escalier jusqu'au troisième étage, là où se trouve mon appartement. Je m'arrête devant pour faire face à Joyce qui m'observe, troublée. Je l'ai rarement vue si peu sûre d'elle.

— Qu'attends-tu de moi, Joyce ?

Je marque une pause. Non satisfait de ma première question, je la reformule avant qu'elle n'ait le temps de prendre la parole.

— Qu'attends-tu de nous ?

Désemparée, cette dernière m'observe à la recherche de ses mots. Des bons mots, ceux qui ne me forceront pas à lui claquer la porte au nez. Mais y a-t-il au moins une bonne réponse à apporter à cette question ? Moi-même, je n'en suis pas convaincu.

— Je ne te demande pas ton amour, commence-t-elle en se rapprochant d'un pas. Je veux seulement que tu n'oublies pas de me regarder, que ton désir pour moi ne s'éteigne pas, que je te manque de temps en temps...

La pauvre Joyce s'est perdue dans une relation à sens unique. Je suis persuadé qu'elle serait prête à bien des sacrifices pour que je continue de la toucher. N'importe quel homme aurait envie d'épouser une femme comme elle, aussi dévouée et capable d'aimer dans le meilleur comme dans le pire. Surtout dans le pire. Parfois, je regrette de ne pas pouvoir être cet homme-là. Joyce mérite quelqu'un de mieux dans sa vie.

— Embrasse-moi, souffle-t-elle dans un supplice.

Elle aurait préféré que je lui réponde quelque chose, mais elle est prête à se contenter de mes actes, de mes lèvres, de mes caresses... Sauf que je ne lui apporte rien.

Face à mon manque de réaction, c'est elle qui vient exiger un baiser. Je retrouve la saveur de cette bouche que je connais par cœur. Celle qui me dévore avec passion, mais surtout fragilité. C'est à cause de cela que je ne la repousse pas, par peur de la briser.

La clef tourne dans la serrure et je l'entraîne à l'intérieur. Je ne devrais pas agir ainsi, mais j'aurais tout le temps qu'il faut pour le regretter demain.

Nos vêtements tombent l'un après l'autre tout au long de notre parcours de l'entrée jusqu'à la chambre à coucher. Je la repousse sur le lit et glisse une main sur son corps svelte, trop maigre, trop sensible. J'effleure sa poitrine, longe ses côtes et redescends le long de son ventre.

Comment peut-elle vouloir de moi quand j'empeste l'alcool à des kilomètres ? Je chasse cette pensée pour me concentrer sur mes gestes. Mes doigts trouvent leur chemin vers son intimité et je me satisfais des gémissements d'aise qui lui échappent entre deux baisers. Ses hanches suivent le rythme que je lui impose, d'abord lent, avant d'accélérer la cadence. Le désir de Joyce flotte dans la pièce. Elle a envie de moi et son regard électrisant m'appelle, alors je la libère de cette caresse pour lui offrir ce qu'elle réclame.

Si personne n'ose me faire de reproches, je sais que les voisins doivent en avoir assez d'entendre le sommier couiner entre nos incessants va-et-vient. Les cris d'aise de Joyce à des heures indécentes ne doivent pas davantage les réjouir. Mais on me salue toujours avec autant d'amabilité le matin, c'est ce qu'implique le pouvoir et le respect et je suis particulièrement apprécié dans le Centre et le Sud de Londres. On peut bien m'autoriser quelques frasques avec ce que les Rice apportent à ces quartiers devenus pauvres et mal fréquentés depuis la guerre.

Dans un ultime cri de jouissance, ma partenaire s'écroule dans le lit et je me laisse tomber à ses côtés, prêt à accorder un peu de répit à mon esprit embrumé. Je rêve de cette mystérieuse inconnue alors que je dors dans les bras d'une autre. Mes doigts glissent dans ses belles boucles brunes. Mes yeux admirent les siens que je trouve si particuliers. J'ai envie de lui demander d'où viennent ces ombres qui dansent au creux de ses prunelles, si je ne les ai pas inventés. J'ai besoin de comprendre pourquoi elle m'obsède alors que j'ignore tout d'elle, jusqu'à son identité. Celle-ci affiche un sourire envoûtant. Elle est sensuelle et dangereuse à la fois. Enfoui au cœur de mon inconscient, je réalise que si je la revois, cette femme signera ma perdition.

Envers et contre tout [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant