Chapitre 6 (Ethan)

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Le tic-tac qui provient de l'horloge murale résonne de plus en plus fort à mes oreilles.

Tic... Mon cerveau refuse de considérer cette évidence. Ce qu'il se passe est improbable. Le surnaturel n'existe pas, j'ai forcément perdu la tête.

Tac... À quel point mon esprit compte-t-il se jouer de moi ? Je n'en suis pas à ma première hallucination, mais cela ne m'était pas arrivé depuis longtemps.

Tic... Contre toute attente, je m'esclaffe devant la menace. Un rire fou qui semble plaire à la ravissante Anya. Enfin, pas complètement.

— Je m'attendais plutôt à des cris d'angoisse, lâche-t-elle en affichant une moue boudeuse.

— Seuls les Hommes ressentent la peur. Je ne suis qu'une chimère.

Intriguée par mes mots, Anya relâche sa prise et glisse une main par-dessus ma chemise. Elle dépose sa paume sur mon torse, au niveau de mon organe vital.

Tac...

— Pourtant il y a un cœur qui bat sous cette carapace. Je pourrais me contenter de te l'arracher, ou bien te faire ressentir à nouveau. Ce n'en sera que plus réjouissant de te détruire ensuite.

Terminé les vouvoiements, elle doit considérer que les masques sont tombés et qu'il n'est plus question de passer par de telles formalités. Ce n'est pas mon cas. Quant à sa menace, elle ne m'atteint pas le moins du monde.

— Bonne chance. Cet organe est brisé, vous n'en retrouveriez pas tous les morceaux.

— Ne me sous-estime pas.

Je souris pour la deuxième fois. Cette femme est douée, mais elle ne sera jamais à la hauteur de ses prétentions.

— Il va falloir vous décider dans ce cas : m'éliminer ou m'assujettir ? Si tant est que vous y parveniez.

Après un moment de flottement, Anya me libère en reculant d'un pas.

— J'aime les défis.

Son choix n'a rien de surprenant. Je savais qu'elle ne me tuerait pas. Pas ce soir en tous cas. Généralement, on détermine le sort d'un homme dans les cinq premières minutes. Quand on hésite autant, on finit par donner sa chance au destin.

Je tire sur le col de ma chemise pour le remettre en place avant de la contourner. Suicidaire ou stratège ? Je prends volontairement le risque de la quitter des yeux pour ramasser la table qui a été renversée. Le message est simple : elle ne m'effraie pas.

— Qu'est-ce que vous êtes ? lui demandé-je, toujours le dos tourné.

— Ton pire cauchemar.

En voilà une réponse bien prétentieuse. Anya est peut-être différente du commun des mortels, mais je crois qu'elle se donne beaucoup trop de crédit.

— Vous ne surpasserez jamais le vécu de quatre années de guerre.

Je ne crains pas ce qu'elle est, pas plus que les tortures qu'elle pourrait m'infliger par sa force physique loin d'être naturelle. Mes émotions ont fichu le camp en 1916, durant la bataille de la Somme. La seule chose qu'Anya attise en moi est de la curiosité.

— Vous ne souhaitez pas réellement les venger, n'est-ce pas ?

Anya prétexte se trouver ici parce que ses camarades ont été tués, mais elle ne ressent pas la moindre peine face à leur perte. Je sais reconnaître le regard d'une femme en deuil.

— Que représentaient ces hommes pour vous ?

— Un simple passe-temps.

— En suis-je un également ?

— Cette réponse dépend de toi.

Celle-ci ne me donne pas l'occasion de poser une question supplémentaire. Ses lèvres viennent s'emparer des miennes. Puissamment. Violemment.

Malgré la surprise, je ne la repousse pas, peut-être parce que j'apprécie la saveur de ce contact froid, même si je n'en montre rien. Je la laisse faire, sans pour autant chercher à prolonger ce baiser. Il est temps de lui faire comprendre que si elle veut parvenir à gagner des points, il lui en faudra bien plus que cela. Ce que l'on dit à mon sujet n'est pas un mythe : mon cœur est inatteignable.

Sans crier gare, Anya me griffe au niveau de la nuque, récupérant une goutte de sang sur le bout de son index avant de reculer. Elle sourit et je l'observe glisser son doigt sur le contour de ses lèvres, apposant dessus une couleur carmin.

— Nous allons vite nous revoir, Ethan Rice.

— Je me languis déjà, lâché-je ironiquement.

Absolument rien dans la tonalité de ma voix, dans mon comportement ou même dans mon regard ne suggère qu'elle risque de me manquer. Néanmoins, elle troublera mes pensées, j'en suis persuadé, mais ce serait lui accorder trop de crédit que de le lui avouer.

— Vous connaissez le chemin vers la sortie.

Ce n'est pourtant pas vers la porte qu'elle se dirige, mais vers l'interrupteur. Anya éteint la lumière et le temps que mes yeux s'habituent à l'obscurité, je ne trouve plus la moindre trace de sa présence dans mon appartement, comme si elle s'était évaporée...

Cette fois c'est une certitude, j'ai perdu la tête.

Envers et contre tout [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant