Chapitre 4.2

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 Sur le trajet, Gigi conseille à Lavande :

– Si on te demande un truc, réponds simplement : « Humhum »

– Comme ça : « Hummh » ?

– Non, plus énigmatique : « Humhum ».

– D'accord.

– Bon, et puis tu te poses quelque part, avec ces écouteurs, il n'y a pas de musique, mais au moins on te laissera tranquille. Essaie de chercher des trucs sur un certain William et le camp de détox.

Jusqu'à la fin du trajet, Lavande reste collée à la vitre, embrassant du regard le paysage de la ville qui défile.

– On dirait que les arbres courent...

Devant l'allée principale du lycée, sur l'escalier qu'elle remonte habituellement la tête entrée dans les épaules, Gigi constate que plusieurs regards sont tournés dans sa direction, et plus précisément vers Lavande.

– Canon, lance une élève. Ce sont tes vrais cheveux ?

– Humhum, répond Lavande.

Gigi accélère le pas, en marmonnant :

– De quoi j'me mêle...

C'est bien la première fois qu'elle se sait réellement observée. Elle n'a pas pris en considération le fait que le look de Lavande puisse attirer les regards. Au lycée, les looks affirmés existent, mais personne n'arbore une telle chevelure parme.

Heureusement, les surveillants postés au point d'accès du hall ne font pas de zèle.

– Alors, c'est ça un lycée ? demande Lavande. C'est immense !

Le hall n'a rien d'extraordinaire, sa dimension est banale, sauf pour une créature n'ayant connue que le cadre des photos d'un réseau social et une chambre de lycéenne.

– Oui. Tiens, voilà le centre de documentation !

Elles s'installent devant l'un des ordinateurs. Gigi avait raison, la documentaliste n'a même pas haussé le sourcil quand elles sont entrées. Pourtant, Lavande détonne dans la pièce. A cette heure-ci, seuls les élèves studieux, préférant se fondre dans le décor, à l'image de Gigi, investissent le CDI.

– Je reviens te chercher dans deux heures et demi, explique-t-elle en désignant l'horloge morne accrochée au mur.

– D'accord. Tu reviendras, hein ?

– Mais oui !

– Bon. Je regarde donc pour ce William et le camp de ta colonie d'été.

Gigi quitte la pièce, avec un dernier coup d'œil pour Lavande qui, comme la veille, semble bien à l'aise avec l'ordinateur alors que ses doigts pianotent déjà à toute vitesse sur le clavier.

Dans la classe E102, madame Lillet, la professeure de littérature, déclame ses vers d'un air laconique, devant une classe déjà amorphe. Le cours n'a commencé que depuis dix minutes qu'un des lycéens assis derrière Gigi lance :

– Eh, la nouvelle ?

Elle ne se retourne pas du premier coup, pensant qu'il s'adresse à quelqu'un d'autre.

– Eh !

Elle sent le bout d'une règle en plastique tâter son dos.

– Oui ? demande-t-elle, alors qu'une vague anxieuse la submerge.

Gigi se sent toujours déboussolée lorsqu'un inconnu lui parle.

– C'est qui la fille aux cheveux violets ?

– Euh, c'est Lavande, chuchote-t-elle.

– Tu la connais ?

Elle s'attendait à cette situation et répond :

– Oui, c'est ma cousine.

Elle devine que le visage de l'adolescent s'éclaire. Gigi devient intéressante à ces yeux, utile, elle le comprend, mais si ça l'écœure d'un côté, ne supportant pas les gens intéressés. Mais, elle est enfin visible, et ce sentiment nouveau est agréable, d'autant plus qu'elle remarque que d'autres se demandent ce que contient l'échange des deux lycéens.

– Je vous dérange ? demande madame Lillet, sans viser quelqu'un en particulier mais devinant l'inattention générale pour les sonnets de Verlaine. Vous commencez bien l'année !

Puis elle reprend, l'air agacé. Le voisin, dans le dos de Gigi, baisse le ton :

– Et toi, tu t'appelles comment ?

– Gigi.

– Bienvenue chez nous, Gigi !

– Euh... j'étais déjà ici l'année dernière...

Elle tourne la tête, ses mèches d'ambres couvrant une part de son champ de vision, bien qu'elle devine qu'il lui sourit. La professeure claque ses mains en signe de mécontentement et Gigi se replace instantanément.

– Vous, là, vous voulez prendre ma place, peut-être ?

Elle rougit jusqu'aux pointes.

– Non, pardon.

Voilà qu'un professeur et un élève s'étaient adressés à elle en moins de trente minutes. Un record depuis deux ans !

Revenue dans le CDI, Gigi reste en admiration devant Lavande qui maîtrise le clavier comme personne. Sa voisine lorgne d'ailleurs de son côté. La documentaliste, quant à elle, se cache dans les rayons.

– Je n'ai rien trouvé sur ton William. Par contre, j'ai lu des pages et des pages sur un certain Shakespeare. Son nom sortait de partout. Dis donc, ce Roméo est bien stupide, tu ne trouves pas ?

– Tu... tu as lu toute la pièce ? demande-t-elle en voyant qu'elle est à la fin de l'e-book.

– Oui, mais j'ai aussi eu le temps de faire des recherches sur le camp de détox, et sur les William de la région aussi. Mais je crois que ça n'avait aucun intérêt.

– Extraordinaire...

Elle dévisage Lavande, essaie de sonder son regard myosotis qui papillonne sur l'écran.

– Je n'ai pas tout retenu, mais j'ai une bonne vision d'ensemble.

– Bon, merci. En tout cas, si ce William est introuvable, je vais devoir commencer par le plus évident : contacter le camp.

Démente NarcisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant