Chapitre 12.1

46 11 8
                                    

 La voiture de Virginie ronronne dans l'impasse étrangement calme. Rien ne laisse supposer qu'il y a de la vie chez les parents de Zina. La lumière du porche et les lampes du salon ne sont pas allumées, ne laissant deviner aucune silhouette humaine.

– La fête bat son plein, on dirait ! ironise Virginie en rapprochant inutilement sa tête du pare-brise.

– Maman ! Tu préférerais voir une maison de débauche ? On est sûrement les premières !

– Ne bois pas, ne fume pas, ne fais rien que tu n'as jamais fait et ça me va ! Et surveille bien notre Lavande préférée !

– Merci, à toute à l'heure ! s'exclame Gigi en descendant de la voiture.

Lavande suit ses traces.

– Attends ! Attends ! Laisse-moi le temps de descendre dire bonjour !

– Pitié, maman. Pas ça ! La honte ! Tu les a aperçus au bowling, et tu vois bien que c'est pas le Bronx ici !

Virginie soupire, constate que le quartier serti de maisons « bon chic bon genre » est définitivement très calme.

– Bon... je reviens à 23h00, sans faute.

– 23h30 ?

– On négocie encore ?

– J'ai fait tous mes devoirs pour la semaine prochaine.

– Aw ! Okay.

– Merci, maman !

Elle lui envoie un baiser puis se dirige vers l'allée pavée, avec Lavande. Virginie laisse tourner le moteur et les regarde. Gigi jette un œil par-dessus son épaule, à quelques mètres d'atteindre la porte.

– Bon sang ! Elle ne va pas rester à nous épier...

Les deux adolescentes ralentissent. Gigi frappe, sachant bien que personne ne répondra : Zina et ses parents sont à Paris. Lavande se retourne, souriant à Virginie. Sur le portable de Gigi, une notification apparaît :

Doryan : je suis devant le portail du jardin.

– Viens, Lavande !

Gigi rebrousse chemin et devant l'air interrogateur de sa mère, lance :

– Faut qu'on entre par le jardin. Maman, c'est bon ! Tu peux y aller !

– Aw ! Okay, okay !

Virginie se résout à faire une marche arrière et quitte l'impasse, au grand soulagement de sa fille. Lavande est déjà sur le côté de la maison en bordure de forêt. Doryan sort de la pénombre, avec un gros sac à dos nonchalamment passé sur son épaule.

– Hey ! Salut, Lavande. Tu vas bien ? Hey, Gigi ! Let's go !

– J'espère que ma mère m'a crue.

– T'inquiète pas ! Allez, suivez moi !

Il les guide jusqu'au sentier qui rejoint la colline. Autour des tables de pique-nique, une quinzaine d'élèves du lycée mangent, boivent, dansent, parmi lesquels Gigi reconnaît Lény, Malvina, Joanna, Timéo, Jasper et Cris. Lény et Malvina semblent très bruyantes, entourées de quatre garçons qui semblent boire leurs paroles.

– Prenez garde à elles. Quand Zina n'est pas là, les vipères sifflent ! prévient Doryan.

A juste titre, lorsque les deux adolescentes aperçoivent le trio final, elles leur font de grands signes.

– Doryan, Gigi, Lavande ! Par ici ! Bougez, faites place ! ordonne Malvina. T'es bien chargé avec ton barda !

– J'ai pensé à ramener des lampes.

La lune ronde et complète flotte déjà dans le ciel rosé. Doryan pose trois lampes écologiques qu'il déplie sur les tables de pique-nique. Il constate que les premiers pizzas et burgers ont déjà été mangés. Gigi s'assoit près de Malvina qui tapote le bois pour lui indiquer où poser son postérieur.

Doryan s'assoit sur l'autre table, avec Lavande. Gigi ne dit rien mais sent un pincement au cœur. Face au feu de camp, elle regarde les fumerolles qui s'élèvent pour disparaître dans la nuit noire.

Lavande joue avec ses chaussures ballerines. Elle les retire et Lény aperçoit quelque chose.

– C'est quoi ça ? T'as un truc dans ta chaussure.

– C'est du persil ! C'est pour porter chance.

– Ah, répond Lény. Tu espères quelque chose en particulier ce soir ?

Malvina hausse les sourcils.

– A mon avis son désir commence par un D.

Son ton semble emprunt de jalousie. Elle préfère se tourner vers Gigi. Elle ne remarque pas que cette dernière maudit mentalement Lavande pour sa non-discrétion. Lorsqu'elle lui a demandé de mettre du persil dans ses chaussures, pour augmenter leurs chances de réussite lors de l'incantation qu'elles s'apprêtent à faire, elle ne pensait pas qu'elle se montrerait pieds nus devant tout le monde.

– Dis, Gigi, entre nous, ta cousine est spéciale, non ?

– Pas le temps de s'ennuyer avec elle, dit-elle avec un sourire crispé.

Discrètement, elle prend des sachets de sel sur la table et le glisse dans sa poche.

– C'est sûr ! Elle serait au lycée, ce serait moins barbant ! Dis, je ne sais pas toi, mais je trouve que Zina est louche en ce moment. Je ferais attention, si j'étais toi. C'est étonnant qu'elle s'intéresse soudainement à toi, au lieu de Lény avec qui elle parlait à la rentrée.

Doryan serre la mâchoire. Gigi ne peut pas s'empêcher de répondre à Malvina, qui dans un faux sourire de condescendance, lui tend un verre de soda.

– Louche ? Un peu comme toi maintenant ?

Doryan s'esclaffe. Malvina pince les lèvres mais ne fait aucune réponse, profitant du brouhaha des autres conversations. Doryan fait un clin d'œil à Gigi et mord dans une part de pizza. Elle pique un fard et boit à nouveau, non sans lui lancer un sourire, trop heureuse d'avoir pu montrer sa solidarité avec son groupe.

Lavande observe autour d'elle cette faune adolescente qui s'agite. Gigi la connaît maintenant, et sait qu'elle doit trouver immonde ces tables de pique-nique collantes jonchées de gobelets et d'emballages avec des résidus alimentaires. Lavande se contient, pose une serviette en papier sur ses cuisses et déguste une part de pizza, assise comme une princesse.

– Elle prend de ses airs, celle-là... marmonne Malvina à Lény qui part dans un rire moqueur.

Gigi comprend que ces filles sont toxiques. Elle se lève.

– Tu vas où ?

Elle ne leur répond pas et s'en va danser avec le petit groupe près du feu.

Démente NarcisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant