Démente Narcisse

Chapitre 3.1

 Le cri de Gigi reste coincé de stupeur.

En face d'elle, les yeux d'une jeune endormie, aux mèches lilas, s'entrouvrent. Elle lui sourit, et s'assoit en tailleur, semant dans l'air un parfum de jasmin et de cerise.

Gigi cligne fort des paupières. Mais la vision est toujours là. Elle ne peut pourtant pas se tromper sur l'identité de cette apparition, elle se rappelle très bien lorsqu'elle a créé ces lèvres rondes, ces iris profonds, ce nez légèrement retroussé.

– Mais... Lavande ?

– Alors, qu'est-ce qu'on poste aujourd'hui ? demande-t-elle.

C'est la réplique que sortait Gigi chaque fois qu'elle ouvrait son compte. Le déclic se fait : elle rêve qu'elle parle avec son avatar numérique.

– C'est... drôle.

Gigi se redresse à son tour et scrute machinalement sa chambre. Tout est si... à sa place et la sensation du drap glissant sur sa peau est si... réelle.

La sonnerie du smartphone les fait sursauter.

– C'est quoi ce truc ?!

Lavande bouche ses oreilles. Gigi éteint son réveil et voit son reflet sur le cadran-miroir de l'horloge posé sur sa table de chevet. Ses yeux sont encore bouffis de fatigue, ses mèches électriques s'entremêlent. Tout est trop vrai.

– Pourquoi je n'arrive pas à me réveiller ?

Elle sort du lit, pendant que Lavande l'observe, attendant toujours la réponse à sa question. Contrairement à elle, elle est rayonnante, son teint est poudré de rose, ses cils élancés encadrent un regard bleu lilas et ses boucles dévalent sa poitrine, sans aucun frisottis à l'horizon.

– Quelque chose ne va pas ?

Lavande recoiffe inutilement sa crinière étoilée.

– Tu t'appelles comment ? ose Gigi.

L'éclat de rire danse dans la chambre.

– Lavande ! répond-t-elle, comme si l'adolescente blaguait. Tu viens juste de m'appeler par mon prénom !

– C'est fou... Mais pourquoi je n'arrive pas à me réveiller ?

Sans la quitter des yeux, Gigi soulève d'un doigt sa paupière. Elle pince la fine peau. Son œil pleure de protestation.

– Merde...

– Mais, qu'est-ce que tu fais ?

Sa respiration s'accélère.

– Qu'est-ce qui m'arrive ?

En bas, sa mère l'appelle :

– A table !

– Qui c'est ? demande Lavande en se redressant.

– Oh non ! C'est ma mère !

Elles l'entendent monter les marches.

– Vite !

– Mais...

Elle saisit Lavande par les épaules et l'enfourne dans son placard à bazar.

– Ne fais aucun bruit !

Elle referme tout juste la porte lorsque Virginie foule le tapis d'entrée.

– Gigi, tu ne m'as pas entendue ?

– Si, si, j'allais descendre !

Virginie jette un œil sur les draps défaits.