– Tu vas fixer cette pizza longtemps ? File-moi une part, elle a l'air de déchirer aussi, celle-là !
Lavande est accoudée sur le bureau, le regard au même niveau que la pâte fumante.
Elles ont déjà englouti une première pizza au bœuf et au parmesan.
– C'est fou que ce truc soit aussi bon ! Je comprends mieux pourquoi il y a autant de platistes, déclare-t-elle en tendant une portion à Gigi.
– Ouch, c'est chaud ! Hein ? Mais non ! Eux, ils pensent que la terre est plate, ça n'a rien à voir !
– Oui, plate comme une pizza ! T'as pas compris que c'était leur religion ? lâche-t-elle en levant les yeux au ciel.
– Ah, tu me fais encore marcher ?
– Quelle drôle d'expression encore... Mais oui. Eh, tu me connais, maintenant !
Elle relève ses cheveux en un gros chignon mauve et se lève.
– Eh, tu vas où ? Tu ne manges pas ta part ?
– Je n'ai plus faim. Je vais me brosser les dents. C'est marrant, quand on y pense... ce petit balai qu'on se fourre dans la bouche !
– Ah, ah, ah ! Lavande, ne sors jamais ça en public, d'accord ?
– Whatever...
Depuis quelques jours, elle remarque chez elle ses propres tics de la vie réelle, notamment celui de relever les épaules pour signifier qu'elle se fiche de tout. Sauf que Lavande semble prendre à la cool toutes les situations. Si les angoisses de Gigi étaient levées si simplement, la vie de la jeune lycéenne serait bien plus facile. A commencer par l'incendie du lycée, sans oublier l'arrivée de Lavande, tout droit sortie de son application fétiche. Sa place parmi les autres aussi. Au lycée, mais pas que.
Puis l'orientation scolaire.
Et aussi Doryan.
Et sa mère.
Bref, Gigi traîne sa vie comme on traîne un sac de briques.
– Tiens, t'as oublié ton pyjama !
Gigi saisit le T-shirt et découvre le sac à dos. La Nintendo DS s'y trouve toujours, à côté de sa paire de chaussettes rouges roulées en boule.
– Quel drôle de contenu... ouille !
Gigi prend à peine le temps de déguster le fromage fondu. Elle halète.
– Faut que je me calme sur le piment. Lavande, tu m'apportes de l'eau ? Lavande ?!
Gigi se relève en versant des miettes sur le tapis. La salle de bain est déserte. Mais en bas, les voix de Virginie et de Lavande se font entendre. Gigi dévale les marches. Sur le canapé, sa mère et Lavande sont enlacées. Elle remarque les yeux rougis de Virginie.
– Ah, Gigi. Tu veux de l'eau, c'est ça ? demande-t-elle en s'essuyant les yeux.
– Oui, je vais me servir.
Machinalement, Gigi se sert dans le frigo et repasse par le salon. Lavande est sortie de son étreinte et remonte à l'étage. Sa mère garde en main une brochure froissée.
– C'est bizarre, finit-elle par dire.
– Qu'est-ce qui est bizarre ?
– Bah, ça ! Lavande c'est... bah, c'est Lavande !
– Il y en a qui aiment les câlins encore à ton âge, tu sais.
– Peut-être. Mais, tu ne la connais pas.
– C'est vrai. Mais... je ne sais pas, elle me semble familière. C'est vrai, on s'attache à Lavande. Tu l'as dit toi-même.
Sa mère reste songeuse un court instant, puis poursuit :
– Dis, tu me fais un coup de jalousie ? Tu veux ton gros câlin, c'est ça ?
Gigi, elle, botte en touche.
– C'est quoi ? demande-t-elle en désignant la brochure.
– La maison de retraite que je vais voir demain, pour Papé.
Gigi sent une vague de culpabilité la submerger.
– Oh... C'est pour ça que tu pleurais ?
– Ne t'inquiète pas, ça va mieux.
Elle l'observe, puis propose :
– Si tu veux, on peut t'accompagner demain, si c'est moins dur pour toi.
Virginie semble surprise mais son visage s'est éclairé :
– D'accord, oui. Oui, je veux bien, répète-elle. Enfin, je ne veux pas que tu te sentes obligée, ce n'est pas l'endroit le plus joyeux.
– Maman, avec toi dans les parages, ça ne peut qu'être plus gai ! Bon, je remonte dans ma chambre.
– Bonne nuit, Gigi.
Finalement, elle accepte le bisou qu'elle dépose sur son front.
Parfois, vivre avec Virginie, ce n'est pas si mal.
***
Le lendemain, la chaleur est écrasante. Madame Ferly observe les allers et venues des voitures dans le quartier en vaporisant Titus à l'aide d'un brumisateur électrique. Le pauvre n'a pourtant pas l'air d'apprécier et tente de mordre sa main à chaque reprise, mais cela semble lui échapper totalement. Elle salue Gigi au loin, alors que l'adolescente grimpe en voiture.
– Eh, mais pourquoi t'as pas la clim, maman ? demande-t-elle en regrettant d'avoir fermé la portière.
– Bien sûr que je l'ai : système OTF dernier cri !
– C'est quoi ton truc, encore ?
– OTF : Ouvre Ta Fenêtre ! annonce Virginie en baissant la vitre électrique tout en fixant sa fille avec un sourire de publicitaire.
– T'as l'air en forme.
– T'as l'air grognon !
– J'ai chaud !
Dans le rétroviseur, Virginie constate que Lavande, assise tranquillement à l'arrière, n'a pas bronché.
– J'espère que ce n'est pas trop dur pour toi de nous supporter ? Euh... WE ARE DIFFICULT !
– Vous ÊTRE rigolotes.
– Ah, tout va bien, si nous être rigolotes. Bon, accrochez vos ceintures, on décolle !
– On va déjà essayer de ne pas se brûler, marmonne Gigi en manipulant la boucle en fer.
– On vit une époque dangereuse, je sais, se moque Virginie en expédiant sa marche arrière.
Bryan les salue au loin.
– Un jour, tu vas finir par écraser le voisin, maman.
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Démente Narcisse
Ficção AdolescenteAprès un challenge raté provoquant un incendie dans son lycée, Gigi, influenceuse discrète, intègre une colonie de vacances centrée sur la désintoxication numérique. A la fin de son séjour, alors qu'elle exprime ses regrets, l'un des membres, Will...