Chapitre 3

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 Tandis qu'ils s'éloignaient de la rue du marché, Jeanne avait retourné dans sa tête le début de stratégie qu'elle tentait de construire. Ce n'était pas un plan à proprement parler, juste une amorce, une ébauche d'idée. Mais à défaut de savoir où chercher, au moins elle savait avec qui. Elle s'était tournée vers Isidore en refermant son livre.

— Il faut qu'on aille voir Gonzague Lesec.

Comme elle s'y était attendue, il s'était arrêté net. Demander à un personnage de s'allier avec son ennemi, c'était bien souvent à éviter. Mais elle préférait mettre toutes les chances de son côté pour perdre le moins de temps possible. Elle n'aimait pas l'idée de se balader dans un monde tout droit sorti de son imagination. Ce n'était pas très raisonnable.

— Gonzague Lesec ? Impossible.

— Et pourquoi, cette fois ? C'est le héros de l'histoire. Si quelqu'un peut m'aider à retrouver Mistigri-Pompon, c'est bien lui.

— Ce type est un abruti !

— Voyons, vous êtes un Duc, ressaisissez-vous. Vous ne pouvez pas jurer de la sorte.

— Que croyez-vous que font les Ducs, au juste ? Vous n'avez pas l'air de vous y connaître beaucoup.

Jeanne s'était abstenue de répondre à la question. Vu l'écart entre le personnage d'Isidore, qu'elle avait décrit comme raffiné, et le type qui se tenait face à elle, les Ducs à Valraven n'avaient peut-être bien aucune classe. Ils étaient peut-être même au plus bas de l'échelle sociale. Elle pouvait s'attendre à n'importe quoi de la part d'un type qui trouvait normal de promener un bison. Et puis, elle ne voulait pas lâcher l'affaire. Elle savait bien que convaincre Isidore ne serait pas chose facile: comment aurait-il pu en être autrement quand on savait que ses objectifs et ceux de Gonzague s'opposaient et allaient continuer de s'opposer jusqu'à ce qu'un affrontement final ne mène à la mort de l'un d'eux ? Elle avait soupiré.

— Je pense que Gonzague peut m'aider à retrouver Mistigri-Pompon.

— Ça m'étonnerait beaucoup. Il a autant de jugeote qu'un dauphin.

— C'est très intelligent, un dauphin, pourtant.

À la grande surprise de Jeanne, Isidore avait éclaté de rire. Il avait semblé pris d'une crise d'hystérie, respirant par saccade entre deux éclats. Il s'était même plié en deux et avait continué de glousser pendant deux bonnes minutes avant de se reprendre.

— Ah, ce que vous êtes drôle, Jeanne ! Je ne m'attendais vraiment pas à celle-là, avait-il fait en frottant le coin de ses yeux embués.

Elle avait soupiré. Elle avait l'impression de perdre un temps fou à s'arrêter toutes les deux minutes sans raison.

— Il faudrait vraiment qu'on y aille.

— Ah, lalaa ! Ça ne vous dérange pas si je la ressors, celle-là ? Je dirais qu'elle est de vous, bien sûr !

— Si on peut se dépêcher, oui.

Isidore avait acquiescé et l'avait suivi d'une démarche plus légère. Sur le reste du trajet, il avait ri encore un peu en marmonnant « c'est très intelligent un dauphin » puis en s'esclaffant à chaque fois de plus belle.

Ils avançaient d'un bon rythme, Isidore tentant de se remettre de son fou rire, et Jeanne réfléchissant et listant mentalement les endroits où aurait pu se trouver Mistigri-Pompon. Elle tentait de garder une conscience du temps, mais c'était difficile quand le soleil ne semblait pas bouger d'un pouce dans le ciel bleu. Elle était en train de s'inquiéter du pétrin dans lequel elle venait de se mettre et des conséquences qui s'ensuivraient si Monsieur Saune en apprenait l'envergure, quand une explosion avait retenti. Jeanne et Isidore n'étaient plus très loin du château de Gonzague Lesec. En tournant sur la rue adjacente, ils s'étaient retrouvés aux pieds de la colline sur laquelle se dressait le château. Constatant que l'une des tours était en feu, Jeanne s'était figée. Gonzague n'avait tout de même pas...explosé ?

Le Chat de Monsieur SauneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant