Chapitre 16

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Chaque émotion à une odeur bien distincte par rapport à l'autre, une simple question de réaction chimique. Dès mon plus jeune âge j'ai appris à les reconnaître et sans le savoir j'en était bien plus impactée que les autres. C'est en partie parce que ces émotions m'affectent bien plus que les autres que j'ai été qualifiée de faible mais pas que...

A ce moment précis, je sens de la colère, de la frustration, surtout de la tristesse et du remord, lorsque je la vois descendre les marches de son immeuble. Seulement deux jours se sont écoulés depuis que je l'ai laissé et pourtant j'ai l'impression de la croiser pour la première fois. Son odeur si sucrée et mystérieuse qui fait bloc sur ses émotions à disparu, il n'y a plus aucune barrière. Une légère fragilité, je le sais bien, derrière cette façade émotionnelle se cache un sentiment de soif de vengeance, prêt à engloutir celui ou celle qui oserait la déranger dans ce moment faiblesse.

Je déglutis difficilement à cette pensée, dans mon état je ne me sens pas apte à faire face à autant d'émotions négatives, autant garder mes distances.
Silencieusement, je la regarde s'assoir sur les marches de l'escalier face à l'immeuble dont elle sorti, ses membres légèrement tremblant face à la brise fraîche automnale qui emporte avec elle quelques feuilles voulant s'ancrer sur le trottoir cimenté du quartier. Les habits peu chauds qu'elle porte me confirme dans l'idée que cette escapade nocturne n'était pas prévue. Quelque chose à dû la contrarier, à force de la côtoyer je sais la reconnaitre quand elle agit sous un coup de tête.

Mon regard se reporte sur la fenêtre correspondant à celle de son appartement et sans voir l'intérieur, j'en conclus qu'elle n'est pas seule, il y a un homme d'âge mûr... Je me souviens alors qu'elle m'a dit que son père devait arriver aujourd'hui, ce qui explique l'odeur familière. Ce sont-ils disputés ? Ça en a tout l'air. De ma position mes oreilles parviennent à capter quelques sanglots, et encore ce sentiment de colère...
Malgré la faible animation de la rue, les rares personnes qui traversent le trottoir ne la remarque pas, ou quand c'est le cas, ils l'ignorent tout simplement et passent leur chemin, pensant certainement que cela ne vaille pas la peine de s'arrêter ou qu'il ne vaut mieux pas déranger et attirer l'attention d'autres personnes. Finalement leur empathie n'est pas suffisante pour leur permettre de s'intéresser à elle. Rien d'étonnant.

Plusieurs secondes s'écoulent tandis que je la regarde sangloter seule, que je vois ses mèches de cheveux blondes se rebeller face à la brise, ainsi que sa peau peu vêtue revêtir une teinte rose foncé. Tellement faible...
Pesant le pour et le contre, mordillant l'intérieur de ma joue, j'hésite à avancer. Je sais que je ne devrais pas, je ne suis même pas censé être là, je voulais juste m'assurer que tout allait bien malgré les dires de Sarah. Au final j'ai mis des heures à me décider à me retrouver là, en plein début de soirée comme une idiote à attendre et regarder.

Finalement, dans un élan se voulant être du courage, je traverse la rue pour aller la rejoindre, d'abords à quelques pas, puis à quelques centimètres. Elle ne semble pas avoir remarqué ma présence, ou peut-être tout simplement qu'elle n'y prête guère attention, ses sanglots n'ont pas cessé. La voir ainsi m'attriste.
Rapidement je me défais de mon manteau pour le déposer sur les épaules froides de la jeune chasseuse et je choisi de m'assoir à côté d'elle tout en gardant une distance suffisante, qui finalement sera inutile.

Plutôt que de s'éloigner, elle s'approche de moi, déposant doucement sa tête contre mon épaule. Je sursaute légèrement et détourne mon regard d'elle pour regarder la chaussée humide.

- Rude journée ? lui demandé-je.

- Beaucoup trop...

- Tu souhaites en parler ?

- Non...

- Bien, dans ce cas je t'autorise à squatter encore un peu mon manteau et mon épaule. La prochaine fois ce sera payant.

ManagarmOù les histoires vivent. Découvrez maintenant