1| ᴀᴅʀᴇɴᴀʟɪɴᴇ

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ʟᴇ ᴄʀɪ qui quitte mes lèvres est silencieux alors que la vitesse de la chute me coupe le souffle.

Le bref envol procuré par l'élan que j'ai pris quand mes orteils ont quitté le métal froid du garde-fou se dissipe, et trop vite, la gravité reprend ses droits, entraînant mon corps vers le vide qui s'ouvre sous moi. La chute est rapide. Malgré tout ce qu'on en dit, le temps ne s'étire pas, les secondes ne paraissent pas durer des heures. Le monde autour de moi n'est que couleurs et lumière mêlées, flou. Le vent me fouette le corps, me fait monter les larmes aux yeux, fait voler les mèches de mes cheveux dans ma bouche. Mon cœur, lui semble avoir cessé de battre, remonté dans ma gorge, coupant mes tentatives d'inspirer.

Et, avant d'appréhender ce que je suis en train de faire, avant de prendre vraiment conscience du fait que je ne sens plus mes membres, de réellement savourer le mélange d'émotions, à mi-chemin entre terreur absolue et extase, la chute prend fin.

L'impact est violent. Implacable. De la hauteur de laquelle je me suis élancée, mon corps percute l'eau à environ soixante-dix kilomètres par heure. À cette vitesse, ma tête est totalement dénuée de toute information. Les deux secondes qu'ont duré la chute ont suffi à vider mon esprit, ce qui est exactement ce que je recherchais. C'est aussi exactement ce qui pourrait finir par me tuer.

L'eau est froide. Glacée. Le choc thermique me paralyse. C'est presque comme perdre connaissance; plus rien ne se passe, pendant une seconde, deux secondes, une minute peut-être. Avant le froid, c'est surtout le silence qui me frappe. Le bruit assourdissant de la chute est remplacé par la paix, presque irréelle, de sous la surface.

Les rayons de soleil font des dômes de lumière au-dessus de ma tête, un peu comme si j'étais dans un palais d'eau et que j'étais la reine de ce royaume de paix. C'est beau.

Et puis, tout reprend petit à petit. Mon cœur revient à la vie, et il bat, fort. Son son emplit mes oreilles, rappelant à moi l'urgence de respirer. L'urgence de vivre. Mes poumons brûlent, alors que mon corps s'enfonce, petit à petit, dans les eaux sombres du lac. La pensée est fugace, dangereuse, mais n'a pas le temps de s'attarder que déjà, mes jambes se mettent à battre, mues par l'instinct de survie.

Ma tête perce la surface  de l'eau, et mes sens sont de nouveau assaillis d'informations. Le soleil m'éblouit, et mes yeux se plissent. Mes cheveux se plaquent contre mon visage. L'écho de rires et de cris me parvient.

Dans un état de semi-transe, je nage vers la rive sur laquelle nos voitures sont garées. Les amis avec lesquels je suis venue sont dans l'eau, en pleine partie de volley — ou tout au moins, ils se font des semblants de passes en faisant beaucoup de pauses pour discuter, tout en s'aspergeant d'eau de temps à autres, ce qui dégénère en batailles d'eau.

— Incroyable la chute, Adria!

— Très dramatique, avec la robe blanche! m'interpelle-t-on.

Leurs voix me parviennent si étouffées, que pendant un instant je ne comprends même pas que c'est à moi que les paroles sont adressées. C'est un clair signe que je plane encore, et ça doit se voir sur mon visage car Mattéo s'esclaffe simplement à mon absence de réponse. Malgré mon état absent, j'aurais pu faire semblant d'écouter, si mon cœur ne venait pas d'avoir un raté quand je remarque une présence hors de l'eau. Debout sur la rive, les mains dans les poches de son jean sombre. Un regard dur, qui me suis alors que je nage dans sa direction.

Quand je me mets debout pour sortir de l'eau, mes jambes tremblent comme celle d'un faon nouveau né. Un sourire étire mes lèvres alors que je prends enfin pleinement conscience de l'état sans lequel l'adrénaline a plongé mon corps. Je la sens, dans mes veines, elle rend mon corps fébrile, dans un étrange état combinant à la fois hyper-conscience, et anesthésie. J'ai froid alors même que je brûle, je suis vide, et en même temps tout mon être est extatique. Je me complais dans les oppositions rendues possibles par l'état de stress dans lequel j'ai volontairement plongé mon corps.

ADRENALINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant