Malchanceuse

128 8 7
                                    

Nouvelle réaliste

Mort. Mon père est mort. Je sais que j'aurais pu choisir d'autres mots comme parti ou encore décédé, mais c'était la pure vérité, mon père était mort. Comment l'était-il ? Dans un grand incendie le vingt-quatre décembre, c'est-à-dire le jour de mes quinze ans.

Je suis née le jour du réveillon de noël... Vous croyez que je suis chanceuse ? Eh bien.... non. Depuis que je suis toute petite, la malchance n'arrête pas de me pourrir la vie. Je suis née le dimanche vingt-quatre décembre deux mille.

Une date qui, a première vue, semble parfaite, sauf que cette année, ce jour fut le pire de ma vie. Vers neuf heures du soir, un incendie s'est déclaré dans une maison voisine. Nous sommes aussitôt allés voir dehors ce qu'il se passait. Il y avait énormément de flammes et une énorme colonne de fumée noire et épaisse s'était formée dans le ciel. Les pompiers étant déjà arrivés sur place, avaient réussis à sortir un homme des flammes. Alors qu'on tentait de l'éloigner de la maison, il s'écria :

— Ma femme est encore à l'intérieur ! Ma femme est encore à l'intérieur !

Mon père était médecin et pompier volontaire. Il avait déjà sauvé des tas de vies. Il savait que prendre ce genre de décisions devait être très rapide. Alors, il ne perdit pas une seconde et s'élança dans les flammes.

— Papa ! je m'écriais aussitôt en le voyant disparaître.

Les minutes passèrent, et toujours rien. Soudain, une femme sortit de la maison en courant. Mais mon père n'était toujours pas sorti. Je questionnais la femme sur l'homme qui l'avait aidé à sortir.

— Il... il est encore à l'intérieur ! s'exclama la femme.

Alors que je me tournais vers la maison, celle-ci commença à trembler avant de s'écrouler brusquement, emprisonnant mon père sous les décombres. Des larmes coulèrent lentement le long de mes joues.

Quand nous sommes rentrés chez nous alors que les pompiers fouillaient les décombres à la recherche du corps de mon père, je restais éveillée en fixant la maison d'en face depuis ma fenêtre. Impossible pour moi de fermer l'oeil.

La grande bâtisse imposante qui dominait ma rue n'était plus qu'un tas de cendres maintenant. Et je ne pus m'empêcher de penser : tout comme mon père...

Le lendemain, après tout une nuit de recherches, le cadavre de mon père fut découvert sans vie. Je savais déjà qu'il y avait peu de chances qu'il s'en sorte, mais la pensée de son corps sans vie me donna des frissons. Comment devais-je réagir ? Est-ce que je devais pleurer toutes les larmes de mon corps, ou bien est-ce que je devais redevenir la petite fille joyeuse et comblée, que j'étais avant que tout cela n'arrive ? Honnêtement, je ne savais plus où j'en étais. Au vu de la situation, je ne pouvais être sûre que d'une chose : tout cela me dépassait.

Deux semaines s'étaient écoulées depuis l'enterrement de mon père. A l'école, je ne parlais à personne et je passais mes journées seule. Un soir, en rentrant des courses, ma mère me trouva affalée dans le canapé une bière à la main. Je ne me souvenais même pas du goût de la bière ou même de comment elle était arrivée dans ma main car nous n'avions pas d'alcool à la maison.

Depuis que mon père était mort, le malheur continuait de s'abattre sur notre famille : ma mère avait perdu son travail, ma grand-mère était à l'hôpital et enfin, mon plus grand rêve, celui de devenir musicienne était réduit à néant. Je n'avais plus le courage de me remettre à jouer du piano : il me rappelait beaucoup trop de souvenirs. Des souvenirs de quand mon père en jouait avec moi.

Et puis un jour, en rentrant de l'école, j'ai entendu ma mère jouer du piano. Il y avait quelques fausses notes mais elle ne se débrouillait pas mal du tout. Je l'ai rejointe et ensemble, nous avons joué jusqu'à ce qu'il fasse nuit. En faisant le ménage dans ma chambre, j'ai retrouvé un collier qui m'a été offert par mon père. Il m'a dit un jour : " Porte ce collier et tu verras, la chance sera avec toi. " 

Depuis, j'ai décidé de le porter car j'ai encore un peu d'espoir pour que mes vœux soient entendus. Au fil des semaines, ma grand-mère est sortie de l'hôpital et est revenue vivre chez nous, et j'ai appris à reprendre confiance en moi. Tout cela grâce au porte-bonheur de mon père.

Seulement, ma mère n'avait toujours pas trouvé de travail et l'argent commençait à manquer. Notre famille commença à sombrer dans la misère. La vie devenait de plus en plus chère pour nous qui n'avions presque rien. Jusqu'au jour où j'aperçu une affiche dans la rue pour un concours de talents. Il était précisé que le gagnant remporterait la somme de cinquante mille euros.

C'est ce moment là que j'ai décidé de me produire sur scène. Pour ma mère et ma grand-mère. Nous avions besoin de cet argent plus que tout au monde. Et même si je ne gagnais pas, je me disais qu'au moins, j'aurais essayé.

Il faut que je le fasse, c'est mon unique chance de nous sortir de cette mauvaise passe.

Le jour J, j'étais incapable de parler tant j'étais stressée à l'idée de chanter devant des centaines de spectateurs. Puis, je pensais à mon père, à son rêve, à ma mère et à ma grand-mère. Cela me redonna un peu de courage. Je m'avançais vers la scène, d'un pas peu rassuré et les jambes tremblantes. Je contemplais la foule d'un regard inquiet. Je pris une grande inspiration puis me tournais vers mon piano.

Dès les premières notes, ma voix se clarifia et c'était comme s'il n'y avait plus personne autour de moi. Comme si j'étais dans ma bulle, isolée du reste du monde. A la fin de la chanson, le bruit des applaudissements de la foule me ramena à la réalité. Je me levais toute souriante, fière de moi. Le présentateur arriva sur scène en courant, prit ma main et la leva.

— Mesdames et Messieurs, veuillez faire un tonnerre d'applaudissement pour cette jeune fille courageuse et visiblement, très talentueuse !

— Est-ce que vous voulez qu'elle nous interprète une autre chanson ?

La foule hurla et des cris fusèrent de toute part.

— Est-ce que tu veux bien nous jouer une autre chanson ? me demanda le présentateur.

— Avec plaisir !

— Vous avez entendu ? Elle est d'accord pour nous jouer un autre morceau !

La foule se déchaina de nouveau.

Aussitôt, je me remis au piano pour interpréter cette fois, une chanson que mon père avait composé.

Alors que je commençais à jouer, des larmes se mirent à couler le long de mes joues. Mon père avait composé cette chanson pour moi quand j'étais toute petite. Et elle était aussi belle à ses yeux que la fille pour laquelle il l'avait composé. C'est ce qu'il m'a toujours répété.

Quand la chaise fut finie, étant donné que j'étais la dernière candidate à passer, tous les autres candidats durent inviter à monter sur scène alors que la foule continuait d'applaudir.

Quand le présentateur appela mon nom, je n'en revenais pas : j'avais gagné ! J'avais réussi,  j'allais pouvoir nous sortir de cette mauvaise passe que nous traversions depuis des semaines !

Six ans plus tard

Depuis le concours de talents, beaucoup de choses se sont passées. Suite à la diffusion du concours sur plusieurs chaînes de télévision, j'ai été contactée par un producteur pour enregistrer mes chansons. J'ai alors accepté et un album contenant plus d'une dizaine de chansons. Et l'année prochaine, une tournée est prévue en traversant tout le pays ! Mon rêve devenu réalité !

Quand l'argent m'a été transféré, j'ai enfin pu payer les factures pour la maison et le traitement médical de ma grand-mère. Maintenant, nous vivons dans une petite maison en bord de mer. En sortant de l'université, j'ai fait des études de droit, mais ce n'est que l'année dernière que j'ai décidé de me consacrer entièrement à ma musique.

Je ne pourrais jamais oublier les raisons qui m'ont poussé à chanter ce jour-là et à participer au concours. De même que je ne pourrais jamais oublier mon père. C'est lui qui m'a transmis sa passion, la musique. Et aujourd'hui, je lui rend hommage en vivant notre rêve : vivre de la musique.

𝐑𝐞𝐜𝐮𝐞𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐧𝐨𝐮𝐯𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬Où les histoires vivent. Découvrez maintenant