61 - Where do the ducks go in the winter?

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En média : Melokind - Kindheitserinnerung

Une chronique littéraire que j'avais écrite pour un journal étudiant.

*


Alors que je me rendais au domicile de J.D. Salinger, écrivain on ne peut plus difficile à contacter dont j'espérais un entretien, je fis sur la route la rencontre d'un adolescent singulier.

« You know those ducks in that lagoon right near Central Park South? That little lake? By any chance, do you happen to know where they go, the ducks, when it gets all frozen over? Do you happen to know, by any chance? »

Il m'a demandé ça soudainement. Je marchais sur ce long chemin de terre qui mène à la bicoque de Salinger enfouie dans les bois enneigés. Il faisait plutôt froid, et ses mains tremblantes dans les poches de son blouson en étaient la preuve. Quelle drôle de question, franchement.

« I mean does somebody come around in a truck or something and take them away, or do they fly away by themselves – go south or something? »

Évidemment, je ne savais pas quoi répondre. Que voulez-vous répondre à une question comme celle-ci ?

« People never notice anything. I don't exactly know what I mean by that, but I mean it. »

Si lui-même ne savait pas s'expliquer... Mais, qui sait, peut-être qu'ils vont dans le Sud, les canards. Je lui avouais ne jamais avoir fait attention à leurs préférences touristiques, même si je m'interrogeais sur leur absence en hiver.

« It's funny. People never think anything is anything really. I'm getting goddam sick of it. »

Et bien, ce n'était pas en me plongeant dans l'incompréhension de la question qu'il aurait sa réponse... Je ne voyais pas ce qu'il y avait de vraiment drôle non plus.

« That's the whole trouble. When you're feeling very depressed, you can't even think. »

Pas d'inquiétude, j'étais capable de réfléchir. Cela dit, si quelque chose devait m'en empêcher ce serait peut-être ce froid glacial ! Pour changer de sujet – celui-ci devenait embarrassant – je lui demandais s'il connaissait à tout hasard l'écrivain reclus, Salinger, et s'il aimait lire.

« I'm quite illiterate, but I read a lot. »

Au-delà du paradoxe que constituait cette réponse, c'était surtout son incongruité qui me frappait. S'il pouvait me donner de plus amples informations...

« What really knocks me out is a book that, when you're all done reading it, you wish the author that wrote it was a terrific friend of yours and you could call him up on the phone whenever you felt like it. That doesn't happen much, though. »

Tout à fait d'accord ! D'ailleurs, si ce cher Salinger pouvait répondre à mes coups de fil, cela me rendrait grand service ! J'avais adoré son livre mais il m'était tout simplement impossible de l'avoir au téléphone !

« I like it when somebody gets excited about something. It's nice. »

Rectification : je n'étais pas excité, non. J'avais froid et j'étais perdu dans cette forêt ! De bonnes raisons pour montrer un peu d'agacement, non ?

« It's really too bad that so much crumby stuff is a lot of fun sometimes. »

Oui, je trouvais moi aussi très amusant de parcourir la forêt à la recherche d'un écrivain reclus qui s'était coupé du monde des hommes. Le côté champêtre, je suppose. Je lui demandais s'il pouvait m'indiquer le chemin et si Salinger m'ouvrirait la porte une fois arrivé.

« It's such a stupid question, in my opinion. I mean, how do you know what you're going to do till you do it? The answer is, you don't. »

« That killed me » comme aurait dit l'autre type de L'Attrape-coeurs. Je laissais le gamin à ses « goddam » et ses questions sans réponses. Quarante ans sans aucune apparition publique ? Nous verrons bien, Salinger.


*

The Catcher in the Rye, en français L'Attrape-cœurs, est un roman de J.D. Salinger publié en 1951 dont la popularité et la force symbolique ont fait un classique de la littérature américaine. Le dialogue fictif de cet article se tient avec Holden Caufield qui en est le héros, et dont les phrases sont des extraits du texte.

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