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  Vingt et une heure ont passé, la fête battait toujours son plein. On avait l'impression que plus les heures passaient, moins elle avait de chance de s'arrêter. Les hommes comme les femmes ne semblaient pas vouloir rentrer dans leur case et dansaient sous les sons alarmants des tambours et des guitares. Le groupe de musique était très en forme, rien de très étonnant lorsqu'on savait qu'avant de commencer leur concert, ils avaient avalé des bouteilles de boissons fortement alcoolisées sans la moindre précaution. Ils jouaient de leurs instruments tout en chantant de leurs voix graves et mélodieuses. Ces mêmes voix qui feraient complexer les crapauds des alentours. Chacun d'eux tapait sur son instrument avec force et vitalité et lorsqu'ils voyaient les villageois s'ambiancer sur leur musique, ils ressentaient l'étrange férocité qui les poussait à aller au-delà de leur limite.

Pour les enfants, il était l'heure de rentrer dans leur case et de plonger dans un sommeil profond. Évidemment, les moins fatigués se rebellaient, mais lorsqu'on leur rappelait que les fêtes alcoolisées n'étaient nullement pour leur âge, ils se calmaient et se contentaient de râler tout en suivant les ordres. Les jeunes adultes de plus de dix-sept ans quant à eux, s'étaient rassemblés entre eux : les filles d'un côté et les garçons de l'autre. Ils se racontaient leurs petites anecdotes et se lançaient même des regards suspicieux en groupes. Chaque fois que le regard de l'un d'eux croisait celui de l'une d'elle, elles se mettaient à ricaner tout en poussant des cris aigus.

A côté du plus grand chêne, se trouvaient les anciens du village. Ce groupe d'hommes accompagné spécialement pour ce soir d'un étranger aux yeux océans, semblait s'amuser entre eux pendant que les femmes en cuisine préparaient leurs plats. Bien sûr, une fête n'est réussie que si la musique est entraînante, la boisson en abondance et surtout le plus important, les plats succulents. On ne pouvait pas confier cette lourde responsabilité à des gens qui savaient à peine casser un œuf, la présence de ces femmes en ce lieu était donc indispensable.

Le menu était essentiellement composé de poissons qui avaient été pêchés ce matin par un groupe de pêcheurs du village. Les femmes maîtrisaient les diverses façons de préparer chaque poisson comme le fond de leur poche. La cuisson pour elles n'était qu'un jeu d'enfant. De plus, elles profitaient de ce moment pour se partager quelques recettes et commérer entre elles.

Dans la cuisine, aux côtés des autres femmes, se trouvait Daenara. Elle était assise près d'un feu et avait pour rôle de le surveiller. S'il s'éteignait ou diminuait, elle devait le raviver en agitant devant celui-ci un mince bout de contreplaqué. Le vent fera raviver la flamme et la cuisson continuera alors sans encombrement.

De l'autre côté de la case, elle fut interpelée par sa tante. Celle-ci l'envoya aller déposer des plats de poissons fraîchement cuits et aromatisés chez les anciens. Elle promit aussi à sa nièce qu'elle s'occuperait de son feu.

Daenara ne refusa pas cette proposition et s'empressa de sortir un plateau en main, direction le grand chêne. Son statut de fille du chef de village l'obligeait à se tenir à l'écart des autres et s'occuper des festivités plutôt que de les vivre. Bien sûr, ce fait ne la ravissait pas tant que ça, car il est vrai qu'elle aurait préféré danser avec les autres plutôt que se retrouver à écouter des histoires de femmes mûres qui ne la regardaient nullement.

Arrivée devant le grand chêne, l'odeur appétissante des plats qu'elle tenait de ses fines mains attira l'attention de tous et ils regardèrent la jeune fille poser les plats ainsi que mettre en place les couverts.

Lors de son arrivée, elle ne put s'empêcher de surprendre une conversation entre son père et l'étranger. Ces deux individus parlaient encore une fois des projets que les Hommes de la ville avaient pour ce village. Le chef ne semblait une seconde fois nullement intéressé par les promesses farfelues de l'étranger et ne répondit guère lorsque celui-ci l'abordait.

MIROIR DU MONDE: De l'autre côté du miroir.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant