Prologue.

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Dans une immense île éloignée de toute civilisation moderne, se trouve un village, un clan, une communauté et une patrie. Situé derrière une montagne, des cases faites en tige de bambou ou en pailles sont installées les unes à côté des autres.

  Ce jour-là, les lampes à essence abritaient en leur sein un feu aux allures indomptables. Il était là pour éclairer les alentours et éloigner les animaux de la forêt. Les lucioles attirées par cette lumière tournoyaient autour de celle-ci, poussant la chansonnette et dansant au rythme du vent. Du haut de leurs nids perchés sur de grands arbres et malgré l'heure, les oiseaux suivaient les lucioles dans leurs festivités une dernière fois avant de se blottir entre eux et fermer les yeux après une journée de dur labeur.

  Le vent frais caressait la peau des enfants qui, fatigués par la longue journée de jeu qu'ils venaient d'achever, restaient assis autour du plus grand arbre de l'île, attendant impatiemment l'arrivée de la vieille femme aux cheveux aussi blancs que du kaolin, ayant le don de transporter les cœurs à travers ses histoires. Les enfants n'étaient d'ailleurs pas les seuls à défier le froid pour pouvoir voyager à travers le temps. Les vieux, les jeunes, les adultes et même les nouveaux nés se trouvaient dans ce rassemblement, impatients d'entendre les histoires de cette vieille conteuse dite « magicienne ».

  À l'aide de bois fraîchement coupé et d'une petite quantité d'essence - qui était la fierté de ce peuple – un grand brasier fut allumé par des hommes. Le spectacle était merveilleux pour les habitants de l'île. Leurs yeux semblaient scintiller et embraser la plus belle des lumières lorsque ces flammes se dressaient devant eux. Elles dansaient à l'aide de la douce brise de la nuit étoilée, exécutant des figures majestueuses.

  La diseuse de conte vola la vedette au feu par sa venue et celui-ci, comme vexé, se calma petit à petit, s'inclinant presque devant cette femme. Qui sait ? Peut-être que lui aussi attendait impatiemment la venue de cette dernière. On apporta une chaise très confortable à la vieille branche qui avec l'âge, n'avait plus que la peau sur les os. Elle remercia chaleureusement le jeune homme qui la lui avait apportée, une expression paisible apposée sur ses lèvres, repensant à sa jeunesse. L'assemblée jeta un regard brûlant de hâte sur la femme à la peau laiteuse qui semblait vouloir prendre tout son temps pour entamer ce nouveau récit. Une gourde remplie d'eau de la rivière fut posée devant la vieille femme et elle souriait à la jeune fille qui l'avait déposée. La jeune à la peau blanchâtre releva les coins de sa bouche en un sourire et se dépêcha de s'installer auprès des siens, pour ne manquer aucun mot de l'histoire qui sortirait des fines lèvres de la femme âgée.

   Tous accrochés aux lèvres de la diseuse de conte, de la joie se dessina sur leurs visages lorsqu'elle entama sa première phrase. Celle-ci, comme à son habitude, commença par charrier ceux qu'elle considérait comme une véritable famille puis cessa de les faire languir autant, en débutant le récit qu'elle savait le mieux conter. Parmi ce rassemblement, se trouvait une jeune fille aux cheveux d'une couleur aussi noire que le ciel. Ayant déjà écouté cette histoire maintes fois, elle la raconta dans son esprit en même temps que la vieille femme sentant son cœur se serrer après chaque phrase.

 

  Il y a de cela mille ans, au sein de ce village même, un jeune et vaillant homme entreprit de découvrir de nouvelles terres. Il se lança donc dans une quête, laissant derrière lui son épouse et ses enfants, à la recherche du légendaire 𝑴𝒊𝒓𝒐𝒊𝒓 𝒅𝒖 𝒎𝒐𝒏𝒅𝒆. Il gravit de nombreux obstacles, affronta les animaux les plus sauvages, il défia le dieu de la terre mais aussi celui du ciel pour pouvoir trouver ce miroir qui l'avait bercé à travers ses contes, depuis son enfance. En effet, il était dit que lorsqu'on traversait ce miroir, on se trouverait dans un monde magique et mythique, où vivent de nombreuses créatures telles que des fées, des dragons, des elfes et même des sirènes. Pour beaucoup, cette histoire n'était qu'un conte à dormir debout, ou pour faire rêver les enfants mais pour cet homme, ce miroir était aussi réel que les cinq doigts de sa main. Il lui fallut cinquante longues années pour trouver ce passage qui, selon les dires, relierait son monde à un autre. Hélas, les années passées avaient emporté sa jeunesse avec lui et lorsqu'il vit le miroir de ses yeux, son cœur s'emballa à tel point qu'il y laissa la vie si près de son objectif. Sa main resta tendue vers le miroir tandis que son esprit quitta son corps et il ne put que regarder celui qu'il avait passé toute sa vie à rechercher.

   Le lendemain, au premier rayon du soleil, son corps fut retrouvé au village dans sa case. Personne n'avait jamais su comment il avait fait pour se retrouver là. Certains disaient que c'était le châtiment que les dieux avaient lancé aux villageois pour avoir laissé l'un des leurs les défier. D'autres disaient que c'était son esprit qui avait déposé son corps à cet endroit pour éviter toutes recherches. Enfin, la majorité voyait en ce geste affreux un message du miroir du monde pour les mettre en garde : "nul n'a le droit de s'approcher de moi". Après cette tragédie, personne n'osait plus parler du miroir du monde, voire même y penser. Il était devenu craint de tous et si quiconque le mentionnait publiquement, il était brûlé vif. Le miroir du monde était bien plus redouté que la mort. Certains avaient encore plus peur de prononcer ces trois mots que d'invoquer le diable. Huit-cent années après, la légende du miroir du monde avait complètement disparu. Les gens se souvenaient juste du nom mais pas de l'horreur planant autour de lui. Seule la famille du défunt avait encore en mémoire la mort tragique de leur ancêtre.

   Une nuit, deux êtres considérés comme exceptionnels furent un rêve étrange. Ils virent dans ce rêve les aventures de leur ancêtre, ainsi que sa mort devant le miroir.  À leur réveil, ils parlèrent de leur rêve à leur mère et celle-ci leur révéla tout ce qu'elle savait à propos du miroir du monde et de leur ancêtre. Eux aussi à leur tour, ils entreprirent de quitter le village pour partir à la découverte de ce miroir et rétablir la vérité sur leur ancêtre. Malheureusement, on ne les revit jamais et nul ne sut ce qui leur arriva. La légende raconte qu'ils auraient trouvé le miroir du monde, qu'ils se seraient rendus de l'autre côté du miroir et n'en seraient jamais revenus. Des rumeurs racontent qu'ils seraient morts et qu'encore une fois, le peuple subirait la colère du miroir du monde. Une de ces nombreuses rumeurs dit que le miroir du monde serait toujours là-haut, au sommet de la montagne, où vivent de nombreux animaux sauvages. Il attend d'être sauvé d'un danger ou peut-être d'être détruit ? Personne ne le sait.

  Ce soir-là, après cette histoire à en glacer le sang, ce fut le début d'une nouvelle aventure pour l'un, une histoire qui empêchera de dormir pour un autre, une histoire à en dormir debout pour beaucoup, mais aussi, pour l'un d'entre eux , cette histoire fut un souvenir qu'il  aurait voulu oublier à jamais...

MIROIR DU MONDE: De l'autre côté du miroir.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant