MIROIR DU MONDE: De l'autre côté du miroir.

X

   Il y a de cela 40 ans, un grand homme rencontra l'amour. Aujourd'hui, il rencontrera la mort. Il était persuadé que la vie lui arracherait tôt ou tard ce qu'il avait de plus précieux mais était loin de se douter que le temps serait venu. Son plus beau trésor venait de mettre les voiles et bientôt, son esprit quittera l'enveloppe charnelle dans laquelle il avait séjourné durant plus de cinquante années.

   Cet homme était né aux côtés de son frère jumeau dans une famille accueillante et aimante. Son père était respecté et aimé de tous, sa mère était la meilleure des femmes de son village. Elle était connue pour ses plats qui avaient le don de mettre l'eau à la bouche de n'importe quelle espèce et surtout, sa beauté qui n'avait d'égale. Ce fut dans un environnement sain qu'il grandit et passa les jours les plus paisibles de sa vie. Pourtant, quelque chose d'important manquait à cet homme. A ce moment, il ne saurait dire pourquoi, mais il avait l'impression d'être incomplet, de n'être qu'une moitié d'âme, comme s' il lui manquait quelque chose pour pouvoir enfin être un homme accompli. Cette chose n'était nulle autre que l'amour. Inconsciemment, il parcourra des contrées à la recherche de sa moitié et finit enfin par la trouver. Enfin, il avait trouvé sa moitié d'âme, une créature unique et belle qu'il ne voyait échanger pour rien au monde. Elle était tout ce qu'il n'avait jamais imaginé avoir et tout ce qu'il avait toujours voulu avoir.

   Malheureusement, lorsque des âmes se lient, d'autres se détachent, entraînant dans les plus profonds des abysses une fin sans préavis. Tout ce dont il avait foi pendant de longues années s'était effondré devant ses yeux. Impuissant, il ne savait quoi faire devant autant d'amertume et de désespoir. Pourtant, forte était sa bien-aimée. Même dans les moments les plus durs, elle avait su garder la tête haute et ne cessait de clamer haut et fort que l'amour était le chemin vers la délivrance à tous les maux.

   Désormais loin d'elle, son cœur n'était plus que pierre. Il était devenu un tout autre homme, l'homme que nous connaissons aujourd'hui. Fier et tempéré, il n'autorisait jamais personne à lui tenir tête. Méfiant et droit, il dirigeait à lui seul près de cinq cent têtes. Stricte et sévère, il s'appliquait à protéger celle qui lui était la plus précieuse, même si pour cela il devait se faire passer pour un monstre.

   Ce monstre, il avait conscience de le représenter aux yeux de la personne qui lui était le plus chère à ce jour. Il avait également connaissance de son comportement inadmissible envers elle mais le faisait uniquement pour son bien. Il voulait la protéger de tous les maux existants : la jalousie, la tromperie, le malheur, le regret, la peur, la perte d'un être cher... Tous ces maux qu'il avait dû chérir malgré lui lors de son long périple, il ne voulait point que sa progéniture l'endure à son tour. Même si il s'y prenait de la mauvaise manière, le plus important pour lui était d'arriver à bon port.

   Ce soir-là, le ciel semblait enrager. Il pleuvait des cordes et les éclairs se défoulaient sur le village. Était-ce le châtiment infligé par les dieux envers le chef du village pour avoir failli à sa mission de protéger son peuple ? Nul ne le savait. Pourtant, ce dont une personne était sûre, c'est que son heure avait sonné.

   L'heure pour un homme de se reposer, d'enfin fermer les yeux et plonger dans un sommeil éternel. L'heure pour un homme de rejoindre sa bien-aimée qui l'attend depuis tant d'années. L'heure pour un homme d'enfin faire confiance à la nouvelle génération et les laisser prendre les choses en main.

   C'est vrai, il avait beaucoup de regrets, il avait énormément de choses dont il voulait se défaire et si aujourd'hui, il avait l'opportunité de changer ces choses, il le ferait. Mais pour son plus grand malheur, le sable contenu dans le sablier arrivait bientôt à son terme.

   Ce fut loin des regards de ses proches qu'il se leva de son lit et malgré la pluie torrentielle, sortit de la case où il se reposait.

   Le vent soufflait et faisait s'envoler les légers tissus faits de soie qui recouvraient son corps. Il marchait d'un pas incertain, guidé par sa canne. La pluie n'arrêtait pas cet homme. Il avait connu bien pire. En effet, ce vieil homme avait affronté des animaux extrêmement féroces et connu d'affreuse tempête pour n'être intimidé que par une simple pluie. Pourtant, de son statut de simple humain, par ce geste aussi anodin soit-il, il défiait le dieu de la foudre et des tempêtes.