Chapitre 2.3

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— Kiara, Kiara !

Une voix lointaine me parvient, me réveillant doucement. Une main posée sur mon épaule me secoue doucement, me forçant à ouvrir les yeux. Mais je les referme aussitôt en poussant un grognement : le soleil brille à l'horizon.

— C'est pas le moment de se prélasser Kiara, rigole une voix bien connue.

Poussant un nouveau grognement, je pose une main sur mes yeux pour me protéger des lumières agressives du soleil. Lorsque je juge m'être suffisamment habituée à la clarté du jour qui commence, je me décide enfin à enlever ma main et tombe sur le visage souriant d'Alek, qui s'est redressé devant moi. Lia, elle, discute avec des pêcheurs un peu plus loin. Car avec le jour se sont également levés les habitants de Pàn. Allant à l'encontre de tous mes principes, je finis par me lever, légèrement chancelante.

— Il vaudrait mieux que tu partes maintenant, Kiara, me conseille Alek, le départ pour ton camp est dans une heure.

J'acquiesce, encore ensommeillée, mais reste immobile, ne sachant pas trop comment lui dire au revoir.

— Tu es allée voir Baba, tout à l'heure ? finit-il par m'interroger après un court silence, remarquant que mon petit sac s'est gonflé.

Je hoche la tête, ne sachant pas trop quoi dire d'autre.

Nous avons tous les deux rencontré Baba en jouant dans les rues de Pàn, alors que je ne devais avoir que cinq ou six ans. Le jeu consistait à se cacher en laissant des indices derrière nous ; mais alors qu'Alek était près de me trouver, j'ai ouvert une porte au hasard et me suis cachée derrière, refusant de perdre une nouvelle fois. Et puis une vieille dame est apparue au fond du couloir.

— Que fais-tu là, jolie fleur ?

Je me souviendrai de cette phrase toute ma vie, tellement cette voix était douce et bienveillante. Je n'ai pas eu peur, je lui ai souri de toute mes dents. Baba s'est approchée de moi, puis a regardé dans la rue, comme j'avais laissé la porte à moitié ouverte. Une voix m'appelait. Alek. J'ai fait les grands yeux à Baba en posant mon index devant ma bouche. Alek criait toujours, se rapprochant de plus en plus. Baba a sagement attendu avec moi, silencieuse, et Alek a commencé à s'éloigner. C'est à ce moment que je me suis précipitée dehors :

— J'ai gagné ! ai-je hurlé.

Quelques secondes plus tard, mon ami débarquait en courant. Légèrement méfiant à la vue de la vieille femme à mes côtés qui souriait bizarrement, amusée par ce manège. Il est resté à bonne distance. Finalement, ses jambes ont cédé et il s'est rapidement avancé vers moi. Il m'a empoigné par la main et m'a tiré derrière lui, m'éloignant de Baba en lui jetant son célèbre regard orageux par-dessus l'épaule. Et moi, je me suis tournée vers la vieille femme et lui ai fait un mouvement de la main pour lui dire au revoir. Elle m'a souri. J'ai ensuite pris l'habitude de revenir la voir, parfois avec Alek, parfois sans. Un lien particulier s'est tissé entre nous. Je ne sais pas grand-chose d'elle, à part qu'elle prépare des remèdes pour les malades et qu'elle a toujours vécu seule, échappant ainsi à l'union.
Et lorsqu'Alek et moi avons été en froid pendant onze ans, je m'y suis rendue seule.

Mon ami a toujours ignoré ce que je vais chercher chez elle à chaque fois. Des herbes, c'est tout ce qu'il sait. Il ne m'a jamais vraiment demandé à quoi elles servaient, et même s'il ouvrait mon petit sachet, il ne possède pas les compétences pour les identifier.

— Au revoir Alek, finis-je par murmurer du bout des lèvres, porte-toi bien.

Bien droite, je l'observe décroiser ses bras puis se passer une main sur ses yeux cernés par la fatigue. Tout le monde n'a pas le temps de dormir, après tout, ironisé-je intérieurement en laissant échapper un petit rire. Devant mettre cela sur le compte de la fatigue, Alek lève les yeux au ciel et prend à son tour la parole.

𝑳𝒂 𝒗𝒂𝒍𝒔𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝑳𝒐𝒖𝒑𝒔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant