Chapitre 3.4

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Enfin, nous sortons du camp, et le cliquetis des armes résonne dans le silence qui s'est abattu au milieu de nous. Je sors mon yagan de mon fourreau, suis le fil de la lame légèrement incurvée du bout des doigts, l'époussète légèrement, et relève la tête vers le groupe qui se rapproche.

Et c'est à ce moment précis que commence ma chute, vertigineuse et verticale. Comme aimantés, mes yeux croisent un regard gris, de la couleur d'un orage qui s'apprête à gronder, lourd et menaçant. Je me fige sur place, les muscles rigides, le souffle coupé, complètement sous le choc. Les deux groupes se rejoignent, des conversations commencent, ainsi qu'une mise au point, et toujours, nos regards ne se lâchent pas.

— Hé ça va ? entends-je demander la voix lointaine de Misael.

Ma bouche se tord de surprise, de dépit, mais aussi de joie. Dans le mouvement des poignées de mains, des exclamations et de bourrades amicales, son avancée vers moi passe inaperçue.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? s'exclame-t-il en arrivant à mon niveau et en m'empoignant par les épaules, comme s'il s'apprêtait à me secouer.

Je ne dis rien, ne pouvant que constater à quel point quelque chose a changé en lui. Peut-être ses cheveux plus longs ? Ou bien les traits plus durs de son visage ? Ou bien l'impression de puissance qui se dégage de lui ? Et je comprends.

— Tu n'es plus tout à fait un oméga, comment est-ce possible ?

Alek plisse les yeux.

— Que fais-tu ici Kiara ?

— On fait partie de l'expédition, c'est tout, intervient Misael en se postant à ma gauche et en posant une main calme sur l'avant-bras d'Alek pour le pousser à me lâcher.

Alek ne s'en offusque pas et recule d'un pas, les muscles tendus. Il jette un bref coup d'œil à Misael et s'apprête à dire quelque chose lorsqu'une voix grave l'interrompt.

— Et là-bas, voici mon Sous-Capitaine.

Les regards se posent sur Alek et j'écarquille les yeux de surprise.

— Toi ?

Il ne répond rien et se détourne de moi pour rejoindre son supérieur, un homme d'âge mur dont les cheveux et la barbe ont déjà pris une teinte grisonnante.

Je sens les prunelles de Misael se poser sur moi, guettant une réaction, mais je reste de marbre et il ne dit rien. Je lui ai déjà parlé d'Alek, et il a dû comprendre qu'il s'agissait de lui. Il m'a écoutée lorsque je m'agaçais de ne recevoir aucune réponse de mon meilleur ami, lorsque je lui racontais certains de mes souvenirs. Mais il connaît seulement ça, et ignore tout le reste. S'en doute-t-il ? C'est possible et cela ne m'étonnerait pas. Quand quelqu'un parle, Misael plisse les yeux, analyse chacun de ses gestes et on sent qu'il a tout décrypté du langage non verbal. C'est fâcheux, cette petite tendance qu'il a.

Lentement, nous nous mettons tous en marche vers la frontière et je reste seule à l'arrière du groupe, observant tour à tour mes compagnons de cohorte. Athala et moi sommes les seules femmes, trente-trois d'entre nous sont des hommes ; et alors que nous avons à peine commencé à marcher, je sens déjà des regards pesants se poser sur moi. Puis une tête se tourne vers moi, mon souffle se bloque une nouvelle fois. La personne qui me dévisage, un air perfide sur le visage et un sourire obscène sur les lèvres, m'est bien connue. Raïs. Celui avec qui j'ai fait mon premier combat dans l'arène, lors du test, à la Base. Celui qui m'a battue. Celui qui a déchiré mon débardeur pour mettre à jour ma poitrine. Je n'oublierai jamais les mots qu'il a ensuite prononcés en regardant mes seins :

Comme je le pensais, le spectacle est décevant : il n'y a absolument rien à voir.

Une bouffée de haine m'envahit, une colère sourde enfle en moi tandis que son sourire s'élargit, ne pouvant que constater ma fureur. Cette expédition que je ne pouvais m'empêcher de trouver prometteuse, vient en quelques minutes de se transformer en enfer que je m'empresserais de quitter si je n'y étais pas entravée. Mon bras qui tient mon yagan se soulève imperceptiblement dans la direction de mon ennemi attitré et une moue moqueuse traverse son visage lorsqu'il décèle mon geste. Puis, enfin, il se détourne, me laissant pantelante de rage. Raïs ne me laissera pas en paix, je le sens au plus profond de moi, il n'aura de cesse de me tourmenter, surtout que notre confrontation dans l'arène s'est soldée un crachat au visage. Je doute qu'il en garde un bon souvenir.

𝑳𝒂 𝒗𝒂𝒍𝒔𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝑳𝒐𝒖𝒑𝒔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant