Le cœur du problème

36/ De l'intérêt d'avoir une mère aimante

— Je n'en suis pas sûre. Je ne plus sûre de rien, en fait. Depuis. Depuis que Matthew et moi nous nous sommes embrassés... depuis que j'ai compris que j'avais envie d'embrasser Kira aussi...

— Comment est-ce arrivé ?

Je raconte à ma mère le départ précipité du centre commercial. Le parc. Le baiser. Les aveux. L'entente entre les jumeaux. Ce sentiment étonnant d'être aimé par deux personnes aussi sublimes et parfaites. Je tais juste le secret de Kira. Ça ne regarde pas ma mère. Le fait que Matthew soit protecteur envers sa sœur peut s'expliquer de tellement de façons. Je laisse ma mère s'en trouver une toute seule.

— Tout m'a l'air très clair, à moi, dit-elle alors calmement.

— Clair ?

— Oui. Tout est très clair. Tu ne peux imaginer vivre sans eux. Ça c'est un fait avéré, non ? Donc tu les aimes.

— Oui. Oui. Je les aimes.

— Bien. La vraie question que tu dois te poser. Et c'est une question cruciale. C'est : les aimes-tu au point de les désirer ? Je veux dire, sexuellement. C'est une question que nous n'avons jamais abordé, Jane. Mais il est temps. Plus que temps, en vérité. J'espérais que ton éveil à la sexualité serait plus simple, mais j'aurais dû me douter que mon incroyable fille ne ferait rien comme les autres, finit-elle en souriant.

Sa main se perd dans mes cheveux. Je ne la regarde pas. Je suis un peu gênée de la tournure que prend la conversation. Pourtant, elle a raison. Il ne s'agit pas de savoir quels sont mes sentiments. La confusion est ailleurs. Elle est perspicace ma mère. Elle est perspicace et directe.

Je renâcle pour la forme en lui disant que je sais parfaitement comment on fait les bébés. Big Data aimerait en rajouter avec des données bien précises sur la sexualité des adolescents, les différentes méthodes de contraception, les échecs, etc.

— Je sais que tu es très calée sur la technique, ma chérie. Enfin, sur la méthode pas la pratique... tu as déjà eu des relations ?

— Non, maman, dit-je en soupirant. Comment voudrais-tu que j'ai eu une seule opportunité ? Je n'avais déjà pas beaucoup de relation sociale. Pas d'amis, tu te souviens ? Alors un ou une petite amie ! Et puis, tu l'aurais su.

— Parfois, les opportunités n'en sont pas et on se retrouve dans des situations... déplaisantes sans le vouloir.

Je pense immédiatement au calvaire de Kira. Une lame de tristesse teintée de colère me submerge.

— Maman. Si je m'étais fait violer, tu l'aurais su, crois-moi.

Ma mère m'enlace sans préavis. Je la laisse faire.

— Je suis heureuse d'avoir une fille comme toi. Tu le sais ? Je t'aime, dit-elle avant de se reprendre. Bon, mais ça ne résout pas ton problème. Alors désir ou pas désir ?

Je repense au baiser de Matthew. Au besoin que j'ai eu de l'embrasser à mon tour. Puis, je pense à Kira. Au fait que j'ai, à plusieurs reprises, songé à l'embrasser aussi, sans sauter le pas. Je rosis. Désir, indubitablement. C'est ainsi. Je les désire tous les deux.

— Inutile de répondre, ma chérie. Je crois que j'ai compris, dit alors ma mère en souriant largement.

Je me retourne vers la fenêtre pour cacher ma gêne. Ma mère se met derrière moi.

— Comment je vais faire ?

— Tu vas faire comme toutes les personnes amoureuses. Tu vas écouter ton cœur et ton corps. Suivre ton instinct et contrarier ton esprit s'il le faut. Et si ça n'est pas le cas. Si ton esprit est lui aussi en accord avec ce que tu ressens, alors c'est Jack Pot !

— Mon instinct ?

— Oui. Tu sais cette petite voix que tu n'écoutes pas souvent parce que Big Data prend toute la place...