14/ Trahie par des chaussettes !

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Matthew est adossé au mur opposé, bras croisé sur la poitrine, air renfrogné. Il lève un sourcil interrogateur vers moi en voyant sortir Irina un demi sourire aux lèvres, puis s'avance vers la porte.

Moi, je me remets de mes émotions. Je me demande encore ce qui a pu la convaincre, le coup du shampoing qui rend chauve ? Ou les substances dégueu ? En tout cas, le bluff a fonctionné. Je suis devenue une sacrée menteuse. J'envisage sérieusement de me mettre au poker, quand je prends conscience du regard plus qu'insistant de Matthew sur moi.

Avec lui aussi, il va falloir mettre les choses au point. Étant le frère jumeau de Kira, ma toute nouvelle et unique amie, je dois y aller en douceur. Le prendre dans le bon sens du poil. Je vais faire la fille affable. Modeste. Qui s'excuse. Ils aiment ça les mecs. J'ai déjà pu le constater à plusieurs reprises.

— Excuse-moi, Matthew, mais je devais régler ça moi-même. Tu comprends ?

— Je comprends ? Non, je ne comprends pas ta propension à ne pas voir l'ampleur du problème ! Parce que tu crois que c'est réglé ? dit-il avec une certaine véhémence.

J'aurais aimé savourer l'utilisation du mot « propension ». C'est pas courant les mecs qui connaissent ce mot. Et qui s'en servent ! Mais je ne peux pas savourer ! Merde ! Matthew n'est pas le genre de mec qui se laissent embobiner par des excuses. Je dois donc contre-attaquer. Ça tombe bien, après avoir terrassé une hyène, je me sens en forme.

— Oui. Je crois que c'est réglé !

— C'est sûr. Irina, la pire saleté que ce lycée ait pu compter, va obéir aux injonctions d'une nana sans aucun sens commun, ni aucune défense.

— Aucun sens commun ? Mais... Mais... Tu sors ça d'où, toi d'abord !!

— Dis la fille qui le matin oublie de mettre un antivol à son vélo, porte toujours des chaussettes dépareillées, n'a pas encore changé son code administratif de cadenas de casier, se promène seule dans les couloirs du bahut le soir et pense qu'elle est armée pour affronter une cheerleader-assassin...

Je suis bouche bée forcément ! Je regarde mes chaussettes effectivement dépareillées. Mais qui se soucie de mettre deux chaussettes de la même couleur ! Et puis, c'est quand même pas de ma faute si ces fichue chaussettes parviennent toujours à se retrouver orphelines ! Quant à mon vélo... et mon casier... Arghhhh ! Il avait réussi à me mettre en colère, l'andouille !

— Mais de quoi je me mêle !!!

Super répartie, la surdouée ! Brillant ! Tout à fait ce qu'il faut pour clouer le bec à ce crétin ! Je n'en reviens pas moi-même de l'indigence des phrases qui me viennent. Pourquoi la présence de ce « monsieur » Greenwater oblitère-t-elle la capacité de Big Data à se défendre ?

— Tu sais quoi ! T'as raison ! Je ne sais même pas pourquoi, je suis là ! crie-t-il avant de quitter la pièce en laissant la porte ouverte.

Et son absence me percute presque autant que celle de sa sœur. Mais qu'est-ce qui m'arrive avec cette famille ? Je reste immobile une ou deux minutes. En pleine sidération. Digérant ce qui vient de se passer. Puis Big Data reprend le dessus. Il calcul la masse de poussière. L'âge moyen du matériel. Ce qu'il pourrait receler de trésor. Ce que je pourrais en faire. Je sors de mon sac ma petite trousse d'outils de précision, cadeau de mon père pour mes 10 ans. Elle ne me quitte jamais. C'est mon trésor indispensable. Je démonte la coque de la première tour que je vois et j'oublie vite tout le reste.

Je ne remarque pas la présence de Matthew dans l'embrasure de la porte qui hésite un instant avant de disparaître comme une ombre, le visage préoccupé.

Le cœur du problèmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant