48/ Jardin secret

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Le jour pointe à peine. J'ouvre les yeux sur un vieux portail en métal dont la peinture bleu nuit s'est écaillée par endroit. Une plante que je ne connais pas a submergé les clôtures de chaque côté. De larges fleurs étoilées aux pétales bleu et jaune s'épanouissent un peu partout. Leur pistils protubérants s'exhibent sans honte. C'est joli, mais assez inquiétant. On dirait presque une plante ensorcelée tellement elle est volubile.

Derrière cette amoncellement de végétation, on voit à peine une allée bordée d'arbres et de buissons, eux-aussi foisonnants. Il est facile de deviner que l'endroit n'est pas habité. Il a été laissé à la nature. Peut-être à dessein.

Ma mère se tient bien droite devant le portail. Son immobilité est inhabituelle. D'ailleurs quelques personnes qui passent sur le trottoir la regardent avec inquiétude. Car il y a un trottoir. Une rue. D'autres maisons autour de ce jardin secret et mystérieux. Avec des clôtures bien propres et des arbres centenaires qui déversent leurs frondaisons jusqu'au sol pour certains.

Je descend de la voiture et me place près de ma mère sans un mot. Nous voilà toutes deux à contempler ce portail, à imaginer ce qui peut bien se trouver derrière pour ma part, peut-être à se remémorer des souvenirs pour ma mère, car elle connaît cet endroit, sinon pourquoi serions-nous ici ?

Nos deux silhouettes vêtues de noire intriguent. Ce que je peux comprendre. Je le suis moi-même.

— Bonjour ? Je peux vous aider ?

Ce salut là est amical et curieux lui aussi. Ma mère se tourne vers la femme qui s'est portée à notre rencontre.

— Tara Williams ? C'est bien toi, Tara ? s'exclame alors la femme dont l'allure générale dit que l'argent ne lui manque pas.

Comme Tara est bien le prénom de ma mère, j'en conclus que c'est une de ses anciennes connaissances. Ce qui veut aussi dire que nous sommes chez elle. Que la maison qui doit se dissimuler dans l'écrin de verdure devant nous est sans doute celle de ses parents. La lumière éclaire d'une manière différente tout mon nouvel environnement. Quand ma mère parlait de ses parents, je n'imaginais absolument pas quelque chose d'aussi cossu et lisse. J'avais dans l'idée plus de fantaisie et d'originalité. Plus de modestie aussi. Aucune maison de la rue ne pourrait prétendre l'être. Ça sent les vieilles familles. Les traditions. Comme chez mes grands-parents paternels mais avec une patine historique bien plus prégnante.

— Charlie ?

— Mais oui ! Charlie ! Charlie Peterson ! Mon Dieu, Tara ! Quelle surprise ! Et quel plaisir ! Ça fait si longtemps ! s'écrie la femme en enlaçant ma mère qui se laisse faire.

Ensuite, ça se met à parler à tort et à travers. Ma mère semble se ranimer au fur et à mesure que son ancienne amie la questionne, lui parle. Nous finissons par accepter son invitation à entrer chez elle pour boire quelque chose. Charlie comprend qu'il s'est passé un truc grave. Nos robes noires. Le visage défait de maman. Son immobilisme. Et ce regard un peu perdu. Elle apporte un réconfort sincère et chaleureux que l'on attendrait pas forcément d'une femme que l'on a pas vu depuis de nombreuses années. Ils faut croire que ma mère et elle étaient très amies.

Je les envie. Un peu. Je pense à Kira et Matthew que je n'ai pas appelés. Je dois trouver un moyen de leur expliquer mon absence et mon silence. Je repère le sac de ma mère. Son téléphone est là. Il affiche une bonne cinquantaine d'appels en absence et autant de messages non lus. Je n'ose pas le déverrouiller.

Ma mère se rend compte de ce que je tiens dans ma main. Elle me prend le téléphone, fait quelques gestes avec, puis me le redonne. Il est déverrouillé. Plus aucun message. Je ne fais qu'envoyer un SMS à Kira. Laconique mais rassurant. Je ne peux pas encore expliquer la situation et certainement pas de cette manière. Quand je saurai moi-même ce qu'il se passe exactement, je pourrai en parler. De vive voix.

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