Je n'ai pas besoin de beaucoup de temps pour sortir de la maison. J'entends ma mère hurler. Il ne faut pas énerver maman ours ! J'aurais pu les prévenir. Non, en fait. Ils méritent ce que j'entends. Ils méritent notre colère. Voire plus. Puis, la voix de mon père s'élève. Celle de ma mère s'éteint.
Elle sort alors de la maison en claquant si fort la porte qu'une partie de la neige de l'avant-toit du porche tombe brutalement dans le jardin aux pieds des marches du perron. Elle jure. M'attrape par le bras et m'entraîne vers la voiture.
— Et papa ?
— Laisse-le où il est ! Espère juste qu'il réalise à quel point il est stupide !
La réponse a été suffisamment forte pour être entendue jusqu'à la porte de la maison qui s'est rouverte après que nous soyons sorties du jardin. La haute silhouette de mon père est là. Silencieuse. Je ne vois pas son visage qui reste dans la pénombre. Je le regarde. Je sais qu'il me regarde aussi. Alors lentement, je me détache de ma mère, et je signe un « je t'aime » à celui qui m'a appris ce langage lorsque j'étais enfant. Il ne répond rien. Ses mains restent inertes le long de son corps.
Je suis si désespérée que ma mère n'a aucun mal à me faire monter dans la voiture. Elle fulmine. Elle marmonne en italien tout un tas de paroles que je devine malintentionnées. Quand elle est en colère, elle parle dans la langue de sa grand-mère maternelle. C'est plus fort qu'elle. Quand j'étais enfant, elle s'excusait en disant que l'italien était une langue de passion. Une langue de passion et de colère.
Notre retour est étrange. Ma mère pleure en silence. Moi pas. Je regarde le paysage extérieur. Je me demande ce qui vient de se passer. Je me demande si je peux réparer ce qui a été brisé. Je me demande si je pourrai pardonner à mon père ce qu'il vient de faire. Ou plutôt de ne pas faire.
Son silence. Son regard. Il a toujours été mon rempart. Mon chevalier. Mon père. Maintenant qu'est-il devenu ? Je suis incapable de trouver une réponse pour le moment. Et Big Data non plus.
Mon super cerveau me laisse une paix royale. À croire qu'il se dit que ça n'est vraiment pas le moment de me balancer des infos sur les causes de divorce les plus répandues, les conséquences sur les enfants, les résultats sur les vies de couple en général... pourtant, je crois que je préférerai un afflux massif d'informations, même incongru, plutôt que ce silence.
Je n'ai pas envie de réfléchir. J'ai le cœur en morceaux. Et cette fois, j'ai bien peur que personne ne soit en mesure de réparer quoi que ce soit.
Ça n'est qu'au bout de quelques heures que je me rends compte que nous n'avons pas pris le chemin de la maison. Nous sommes sur la route vers le sud. Je n'ose pas demander à ma mère où elle m'emmène. Je n'ose pas, car je sais qu'elle aussi a le cœur brisé et j'ai peur de la voir s'effondrer. J'ai peur qu'elle ne m'abandonne à son tour. Mon dernier rempart. Ma maman ours.
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Le cœur du problème
Teen FictionJane est surdouée, mais ça n'est pas un souci. Big Data, son cerveau, et elle s'entendent fort bien. Le cœur du problème, c'est le monde autour d'elle. Un monde où elle tente de se dissimuler, mais sans trop en faire non plus. faut pas pousser. Sau...