Chapitre 5

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La lumière verte

ou

la mort d'un père

Aldin sauta du dos de Viggó et trébucha devant les portes du Village. Elle courut ventre à terre jusqu'à la case de son père, de grosses larmes roulant sur ses joues sans discontinuer. Elle trouva Araw Vesperis couché sur son lit, la tête rehaussée par des coussins de mousse, le regard vitreux et les mains tremblantes. Le guérisseur connaissait à son tour ce retour de bâton que subissaient les guérisseurs, passé cinquante ans : une maladie incurable détruisant les poumons à petit feu et un vieillissement accéléré des cellules du corps, dus à la magie tellurique trop pratiquée sans en être le véritable détenteur, le pouvoir revenant originellement à la famille royale. Si le guérisseur avait cinquante-deux ans seulement, il en paraissait bien quatre-vingt. Aldin s'assit au chevet de son père, les épaules secouées de hoquets, et le vieil homme tourna lentement sa tête vers elle.

- Aldin, ma chérie... dit-il d'une voix faible, ses lèvres gercées s'étirant en un sourire difficile.

- Père...

- Comment vas-tu ?

- Comment je vais ? s'étouffa Aldin, les yeux troubles de larmes, Père... Tu... Tu...

- Je meurs, Aldin, je meurs. C'est normal, ça nous arrive à tous.

- Mais Père... Pourquoi si vite... ?

- Tu le sais très bien toi-même, sourit le vieillard.

Aldin se mordit violemment la lèvre, tentant vainement de réprimer les hoquets qui l'agitaient.

- Comment s'est passé l'entrevue avec le couple royal ? demanda Araw d'une voix faible.

- B-bien, répondit mécaniquement la jeune femme, la reine a testé mes pouvoirs de guérison...

- Je vois, acquiesça Araw.

Il ouvrit la bouche pour poser une autre question mais elle fut noyée par une violente quinte de toux. Il s'essuya la lèvre d'une main frémissante mais Aldin, le cœur en miettes, avait eu le temps de voir une goutte de sang perler sur les dents blanches du vieil homme.

- Tu t'entends bien avec Emrys Domhnall ? demanda finalement Araw avec un doux sourire.

- Euh – je pense – oui, répondit Aldin, prise au dépourvu. Nous sommes amis.

- Parfait. Tu vas avoir besoin d'amis, ma chérie. La responsabilité qui t'attend, je ne la souhaite à personne. Autant vivre ce genre de choses aux côtés des gens qu'on aime...

Il fut à nouveau secoué d'une violente quinte de toux et Aldin, ayant à peine écouté sa tirade, se jeta presque sur lui.

- Père, laisse-moi te soigner ! s'écria-t-elle, le désespoir faisant grimper sa voix dans les aigus.

- Tu es folle ? lui demanda très calmement Araw.

- Non ! Père, tu as toujours dit que ma magie est extrêmement puissante ! Je peux te soigner ! J'en suis sûre !!

Et, sans attendre de réponse, Aldin saisit le bras rachitique de son père dans ses mains tremblantes et invoqua toute la puissance de son pouvoir de guérison. Elle resta quelques secondes les yeux fermés avant de les rouvrir lentement.

- Arrête ça, dit-elle au guérisseur d'une voix dure.

Les mains du vieil homme, qui reposaient sur le drap blanc de son lit, luisaient d'une lumière verte presque éblouissante, alors que celles d'Aldin n'émettaient aucune lueur.

Les Incarnations - Nivest, la Terre (tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant