Chapitre 4 : Sion Square, Londres (époque : 2022)

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Scotland Yard, Londres.

Il s'agit d'une sorte de spectacle : voir ces deux pratiques représentées par deux individus aux allures antinomiques, un grand homme encore jeune au physique dégradé et un retraité en grande forme.

- Très bien, nous avons donc deux hypothèses intéressantes... mais contradictoires.

Le commissaire valide le process d'analyse en s'écartant de la table de travail pour chercher une réponse dans le paysage inondé derrière la vitre.

- Comment discriminer une hypothèse plutôt qu'une autre, maintenant ? interroge tout haut la criminaliste.

- Dans notre cas, les victimes sont toutes des prostituées, répond le commissaire. L'agresseur se rend où les prostituées sont, autrement dit à Spitalfields.

- A ce que j'ai pu voir, les maisons sont vieilles, grandes, d'aspect minable, explique R. Moe d'un ton dédaigneux envers le quartier pauvre de la ville. Spitalfields est un secteur parfait pour les crimes...

- Avec la plus haute incidence de prostituées... dit J. Howes de sa voix amicale et douce.

- C'est un terrain de chasse par excellence... poursuit le second officier.

- Non, les crimes paraissent opportunistes, coupe Jonathan Stevens à la stupéfaction de tous. Aucun lien avec un prédateur qui sélectionne des victimes bien précises comme défi, à l'image du Lady Killer recherché aux Etats-Unis.

De sa main tremblante, il passe en revue les cartes et les scènes de crime.

- Comme dirait le FBI, la première attaque d'un tueur en série survient en général très proche de son domicile, dans sa zone de confort primaire pour reprendre vos termes colonel. Nous voyons ici que les attaques ne se sont pas beaucoup déplacées par la suite. Dès lors, le degré d'organisation me semble limité.

- Si les Américains du FBI le disent...

Naghten s'esclaffe d'une manière élégante qui signale à la fois son respect envers les analystes et sa déception de ne pas citer en référence ses compatriotes anglais.

- Trudy... Dr Lona, se reprend immédiatement le commissaire en fixant l'experte criminaliste et les yeux de son ami J. Howes, des éléments intéressants sur le contexte du meurtre de la première victime ?

- Sur le contexte, N. Polly, la première victime, a été vue pour la dernière fois marchant le long de la grande rue marchande, proche de Sion square. Elle vivait et travaillait sur la rue commerçante au coin de Sion Square.

- Bien, très bien, commente le colonel Ross Moe positionné au-dessus des cartes de la ville. Dans ce cas, si nous retenons l'hypothèse du maraudeur-sédentaire, notre suspect ne possède qu'un seul cercle de confort, toujours proche de son domicile. Dr T. Lona, vous nous rappelez que N. Polly, première victime, travaille et vit ici à Sion Square. Selon vous Dr Stevens, le fait qu'il s'agisse de la première victime nous conduit à privilégier cet indice.

- De plus colonel, appuie le commissaire, en considérant les itinéraires de fuite de l'auteur, comme indiqués sur la carte, nous rejoignons une fois de plus la grande rue et la liaison à Sion square.

- Alors en appuyant cette théorie, trois des scènes de meurtre sont presque équidistantes à Sion Square, ce qui nous donne une zone cible, discrimine Ros Moe.

- Mais le meurtre d'hier, quatrième victime, est largement éloigné de la zone, disent de concert la criminaliste, le commissaire et le colonel.

- Pas du tout, coupe J. Howes en prenant confirmation auprès du second officier de terrain. Hier, le corps d'E. Owes a été retrouvé ici. C'est éloigné sur la carte, mais en réalité en passant par la rue commerçante, cela ne constitue que quinze minutes à pied de Sion Square.

- L'hypothèse est stable, dit le Dr J. Stevens, toujours étrangement positionné, le visage fatigué. Vous avez des suspects qui vivent dans cette zone précise ?

- Oui, près de cinq mille, répond de manière sarcastique le commissaire C. Naghten.

- Qui vivent à Sion Square précisément et qui ont été interrogés ?

- Vérifiez lieutenant, ordonne le commissaire à un de ses officiers. L'homme se retire, en emmenant avec lui son collègue.

- Vérifier les dossiers demande un certain temps vous savez. En attendant, faites-nous vos analyses l'américain. Vous pouvez voir quelque chose avec votre truc ?

Le commissaire, l'experte et le colonel observent attentivement le psycho-criminologue. Tous savent ce que cette question implique et les rumeurs qui l'entourent. La réputation du « Docteur » est connue de tous.

Pour le « néant », il lui faut être en contact direct avec l'individu ou une victime vivante... qui accepterait ce contact. Cela est impossible en ces circonstances.

Il utilise sa faculté pour se plonger dans le mode opératoire de l'auteur, reconstituer en lui les faits et les besoins de l'agresseur, mais rien de plus concluant qu'une capacité de compréhension étendue.

- Selon moi, nous sommes face à un tueur finalement assez classique, surement atteint de psychose.

- Comment cela ? demande le commissaire.

- Tout me semble classique, désespérément classique, soupire-t-il.

Les chefs d'œuvre du couturier lui manquent presque.

- Les prostituées sont des victimes répandues pour ce type d'agresseur. Simples à approcher, dans des secteurs à haut risque, femmes pauvres et souvent en état addictif, obligées de se vendre auprès d'un client qui peut disposer d'elles comme il le souhaite, les conduire dans des lieux d'attaque... énumère le psycho-criminologue à l'aide de ses mains. La question, c'est la méthode. Les prostituées travaillent en pleine rue. Je l'imagine les aborder brièvement pour les étrangler ou égorger au plus vite. C'est un contact brusque, soudain, puissant. Il possède une certaine confiance en lui et en ses capacités physiques.

- Nous recherchons quelqu'un de peu organisé alors ?

- Oui, un psychotique qui progressivement sombre dans ses symptômes, en rupture depuis dix-huit mois. La zone d'attaque, l'absence de maitrise des mutilations, le prélèvement des organes, et surtout les lettres que vous avez reçues, tout cela est typique d'une psychose et d'un délire paranoïaque. Il a dû se faire remarquer dans les quartiers.

L'Histoire du Dr J. Stevens (Partie 2) [ShortList Watty22... -Edité-]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant