14H45.
Les yeux toujours fermés, la tête collées au mur, assis en tailleur sur son lit, l'homme s'adresse au psychologue d'une voix rassurante :
- Poursuivez votre histoire, Docteur. Dîtes m'en plus, sur cette vie d'un autre, de quoi ou de qui s'agit-il ?
- Il y a un homme, toujours le même il me semble. Il y a aussi la Gard...
J. Stevens se reprend en faisant mine de s'éclaircir la voix.
- Enfin il y a d'autres présences. Je me sens...
Le clinicien regarde la caméra, reprend ses pensées brièvement et décide de se dévoiler afin de plonger dans la phase 2 de relation de pouvoir, dans le fond de l'échange et susciter des réactions personnelles.
- ... anéanti dans ses mémoires.
- Ses mémoires ? reflète l'homme de manière troublée.
- Ses souvenirs, disons... J'ai l'impression de vivre le récit de la vie de cette personne la nuit, à travers ses yeux. Tantôt je ressens la douleur et la demande d'un enfant martyrisé, son imploration encore aujourd'hui, tantôt je me trouve en situation professionnelle d'un métier que je ne connais pas.
J. Stevens effectue des pauses entre chaque phrase afin de permettre des commentaires, relances, toutes sortes de réaction. Hélas pour le criminologue, l'homme maintient une écoute attentive sans désir apparent de proactivité.
- Je suis perdu dans des pièces lumineuses remplies tant de personnes que de matériels informatiques. On se croirait dans un Institut de recherche de la Nasa. Ce qui est troublant, c'est que j'y mesure ma place.
Son corps réagit, son attention se manifeste de manière plus explicite.
« Enfin ! »
- Alors je subis des tests. Le rêve se finit toujours de la même façon, je suis éclairée par d'intenses faisceaux lumineux et je perds le contact avec mon corps. Au moment culminant, lorsque la lumière me couvre entièrement, je parviens à voir à mi-hauteur je ne sais comment et où des chiffres et des lettres étranges gravés en filigrane... mais c'est illisible.
A la plus grande stupéfaction et plaisir du psycho-criminologue, l'homme répond et se dévoile à son tour :
- Il s'agit des chiffres d'Hermann Minkowski.
- De ?
- Un mathématicien du dix-neuvième siècle, un génie qui fit apparaître le mot « espace-temps ».
- Merci... Docteur. Je me doutais que vous étiez un scientifique dans des domaines de ce type. Comment déduisez-vous de mon rêve qu'il s'agisse de ces chiffres-ci ?
L'homme baisse la tête et se redresse, les yeux désormais ouverts. Sa bouche est toujours à peine visible derrière la barbe.
- Nos conversations sont toujours aussi passionnantes, dans ce qui se dit comme dans ce qui ne se dit pas.
- C'est-à-dire ?
- Vous m'avez déjà demandé cela la dernière fois, il me semble que ma réponse était claire, comme la fois précédente d'ailleurs. Je vois à votre empressement que vous souhaitez reprendre votre rôle d'interrogateur, n'est-ce pas, célèbre Docteur ?
- Si vous me le permettez, confirme J. Stevens.
- Vous n'avez pas l'air bien, votre état s'aggrave, ou bien se remet-il sous certains aspects, poursuit l'homme en souriant. Hélas, je ne suis pas du secteur du soin comme vous. La mémoire m'est un territoire bien inconnu. Posez-moi une question à votre tour, mais à propos d'un autre sujet je vous prie. Je vous donne ma parole d'y répondre.
- Très bien.
Jonathan Stevens comprend l'enjeu et sait combien il est difficile de maintenir une alliance constructive dans ce type de lieu, de contexte et avec un profil aussi particulier que celui de son interlocuteur. Il décide de contourner son raisonnement.
- Je me permettrai dans ce cas de revenir vers vous plus tard pour une question qui me tient à cœur, mais qui ne correspond pas à votre autorisation en l'état.
Le détenu approuve de la tête, à la manière d'un remerciement, ce qui satisfait le clinicien qui obtient ainsi la possibilité d'une question essentielle dans peu de temps. Le pari de son interrogatoire de la journée est gagné.
- Pourquoi avoir refusé un avocat ?
- Je n'en ai pas besoin. Je ne compte pas me défendre. J'espère mourir ici. Plus précisément, je vais mourir ici, je le sais et le souhaite.
Le psychologue ne s'attendait pas à cette réponse. Un silence s'installe longuement, avant que l'homme lui tende ses mains d'une manière bienveillante.
15H.
- Vous apprendrez à me faire confiance, Docteur, vous apprendrez. Ce n'est pas moi votre ennemi.
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L'Histoire du Dr J. Stevens (Partie 2) [ShortList Watty22... -Edité-]
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