Il y avait un bruit inhabituel, au loin. Une façon étrange que les aiguilles de pin avaient de craquer au sol. Des froissements contre les buissons qui n'avaient rien du pelage des petits rongeurs que le guerrier chassait. Des voix.
De nouveaux arrivants, pas très discrets malgré leurs quelques efforts. Le guerrier les avait repérés à plus de cinq cents mètres. Il s'approcha d'eux, facilement car leur rythme était lent, leur progression bruyante. Le guerrier rangea la sarbacane qu'il tenait à la main. Ils avaient dû effrayer tout le gibier, ça n'était même plus la peine d'espérer débusquer quelques lièvres ou un bafou. Ce n'était pas pour autant que le guerrier souhaitait être vu tout de suite, malgré son envie d'aller à leur rencontre. Jusque-là, chacun de ceux qui les avaient rejoints étaient venus pacifiquement, mais on était jamais trop prudent.
Il les suivit au bruit et à la trace, constata qu'ils se dirigeaient bien tout droit sur le camp. Se dissimulant derrière des troncs de pin à l'écorce hirsute et des buissons de houx bruns, il arriva à leur hauteur. Ils étaient quatre, dont un enfant, mais le guerrier pouvait déjà le dire cinquante mètres auparavant. De dos, il voyait leur têtes rebondir entre les branches et les troncs, têtes toutes garnies de cheveux ébouriffés et imposants comme des crinières de félin. Il les dépassa, se posta avant un virage qu'ils allaient sans doute prendre pour éviter un massif de ronces. Il voulait les voir bien en face.
En premier venait un garçon chétif qui pouvait bien avoir quinze ou seize ans, mais qui paraissait surtout être toujours un gamin. Des mèches blond sale se baladaient devant ses yeux. Il était maigre comme un clou, plus petit que celui qui le suivait de près, aux courts cheveux bruns bouclés, le visage fermé, les yeux perçant les fourrés et croisant ceux du guerrier comme s'il l'avait vu. Mais ce ne devait être qu'une impression puisqu'il continua sa route sans exprimer aucun changement d'humeur, sans que son visage, sa marche, son attitude volontaire ne soient troublés en quoi que ce soit. Les deux garçons avaient l'air d'avoir le même âge, et pourtant, étrangement, le second semblait être plus vieux de dix ans. Le guerrier leur trouva un air de famille dans tout ce qui les distinguait. Il les trouvait proches et opposés, comme peuvent l'être deux faux jumeaux.
Plusieurs pas derrière arrivait l'enfant, dont le visage baissé était caché par une longue chevelure rousse et gonflée comme celle d'un lion. Derrière l'enfant venait tout de suite le dernier de la petite troupe, qui surveillait, en bon père qu'il semblait être, chacun des pas de sa progéniture. Il releva la tête. Et le couvert des arbres sembla plus sombre, la fine brise devint un courant d'air mordant, les oiseaux se turent. Le guerrier sentit son sang s'arrêter, l'onde de choc lui traverser la chair.
Il n'aimait pas ce type. Oh non. Il y avait quelque chose de profondément, d'insidieusement désordonné et menaçant chez cet homme. Il se tenait, à chacun de ses pas, presque instable sur le seuil d'une frontière, à la lisière, au bord d'un gouffre dans lequel il semblait prêt à sauter à pieds joints.
Et quand il plongerait, rien ne saurait le retenir. Et le guerrier assimila, intégra ce danger, ce risque, aussitôt qu'il le vit. Son instinct de survie le fit résonner jusqu'au plus profond de lui. S'il venait bien à s'installer dans la communauté, il serait celui qui y mettrait fin. Il serait celui qui détruirait leurs espoirs.
L'homme l'avait déjà dépassé et s'enfonçait plus loin dans la forêt de pins, mais le guerrier déroulait toujours le fil de ces craintes qui lui étaient tombées dessus comme la foudre. Une impression pareille, faite seulement à partir d'un regard, ça semblait bien trop fort. Il avait surtout la sensation de délirer. Il ne pouvait pourtant repousser cette intuition.
Il pouvait les arrêter. Il pouvait l'arrêter lui. Il pouvait se jeter sur leur chemin, menacer les gosses de sa sarbacane aux fléchettes empoisonnées, il pouvait même se couvrir du sang du seul lapin qu'il avait tué aujourd'hui pour ajouter à l'effet de surprise, pour les repousser plus loin encore. Ses jambes se raidissaient, prêtes à bondir, mais il les retenait, il retenait chacun de ses gestes de toute la force de sa volonté.
Il avait une promesse. Et il ne romprait pas une promesse. Celle qui tenait unie leur petite communauté. Celle sur laquelle il avait juré de sa vie, parce que c'était celle qui avait le plus de sens pour lui. Il avait une promesse, et il s'y tiendrait. Quiconque pouvait venir, et les règles existaient justement pour que ceux qui ne les acceptaient pas soient remis dans le droit chemin ou exilés. Ce n'était pas à lui seul de juger de la valeur des futurs habitants, et c'était une loi qu'il avait lui-même formulée.
Les quatre nouveaux protagonistes arriveraient à destination, il en était ainsi, quoi que son instinct lui hurlerait dans les tympans. Et son devoir était de prévenir les autres de leur arrivée.
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Ainsi vint la famille Ember.
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RELIQUES - Dream SMP AU
FanficLa légende raconte que trois voyageurs s'établirent sur le bord du monde connu, et fondèrent un pays pacifique avec d'autres humains et créatures qui les rejoignirent, un pays où il faisait bon vivre. Mais la légende se trompe. Quand fuyards, meurt...