bleu glacé I - 31/12/2021

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TW suicide

trou de glace

  les moments en parenthèses. les bouffées d'oxygène. les petites bulles d'air qui remontent encore à la surface.
le problème, c'est que tous ces petits instants ne m'empêchent aucunement de couler.
les abysses sont d'un bleu sombre qui projette ses reflets un peu partout sur les parois de glace qui m'entourent. certains arrivent à les sculpter, à en faire des motifs pas si laids et même un peu jolis. j'aime bien quand ils me les montrent, tous fiers d'eux. moi, je souris, tendrement mais tristement.
ça me plairait d'avoir ce pouvoir sur le moche, sur ce qui rend tout tout gris. mais bon, c'est un peu dur déjà de continuer à émettre des signes de vie.
l'eau est de plus en plus froide et de plus en plus sombre. les reflets sont bleu nuit, de là où je suis. les motifs et ornements sont agréables à regarder, bien qu'ici, il soit plus difficile de graver ses intentions dans la glace. le soleil a du mal à se frayer un chemin jusqu'à nous. c'est comme ça. la résignation nous empreint. c'est à se demander si elle ne baigne pas autour de nous et n'en profite pas pour s'immiscer dans chacune de mes failles.
les étoiles nous attendent au fond du trou. certains nous dépassent, plongent vers elles. "je les recherche depuis trop longtemps. ça sera bien plus beau, à leurs côtés". et ils disparaissent dans les ténèbres sous nos pieds. ceux-là, on les revoit rarement. il y en a d'autres, ils coulent comme des pierres. quand ils passent à côté de nous, ils tendent une main gelée vers nous et semblent nous supplier de leur regard desespéré. des bulles d'air s'échappent d'entre leurs lèvres lorsqu'ils tentent de nous hurler leurs appels de détresse. on aimerait faire quelque chose pour eux. de toutes nos forces. mais c'est impossible. la souffrance, souvent, est inhumaine. mais notre descente à nous est bien plus lente que la leur, elle est progressive et insidieuse. on ne s'en rend compte qu'une fois qu'on a descendu de plusieurs mètres. alors, on ne peut que tenter de les effleurer du bout de nos doigts frigorifiés, même si on sait que pour eux, c'est fichu. c'est dur, de les laisser sombrer et se faire aspirer par les volutes d'obscurité qui s'échappent des ténèbres. puis la résignation exèrce son pouvoir atroce sur nous, et on finit par s'y habituer. à la fin, on n'ose même plus les gratifier d'un regard du coin de l'oeil. c'est trop dur. un peu comme ces sans-abris qui passent entre les rangs de passagers dans le métro. on a honte de pas les aider au début, et puis au bout du compte l'indifférence finit par dominer. c'est toujours comme ça.
il y aussi ceux qu'on aperçoit quand on plisse les yeux. à notre hauteur. on a envie de hurler à ceux qui sont déchirés par la peine de voir ceux qui ne peuvent être sauvés sombrer qu'ils n'y peuvent rien, et que même si c'est dur, ça finira par passer. mais ce serait cruel pour eux. ils refuseraient de croire à une déshumanisation aussi violente, aussi brutale. alors on se résigne à les voir souffrir. on est comme eux, au fond. on sait pas trop si on va s'en sortir. on nage entre deux eaux. quelques fois, l'un d'entre nous semble se réveiller d'une longue transe et donne un grand coup de pied qui le fait remonter comme une flèche vers la surface, ne laissant derière lui qu'une traînée de petites bulles d'air. on aimerait être admiratifs, mais on n'ose pas vraiment y croire. on finit par se convaincre bien vite que ce n'est qu'une illusion et qu'il n'a pas vraiment existé, qu'on l'a rêvé, que tout ça sert à rien au fond. au fond au sens propre comme au sens figuré. et ça fait mal. un peu. une douleur engourdie. atténuée, parce que l'indifférence l'empêche de prendre toute la place. finalement, on sait plus trop quoi penser d'elle. elle nous fait couler plus vite mais nous maintient dans le même temps à flot.
personne connaît vraiment le but de tout ça. mais, et si c'était pas une illusion? j'aimerais beaucoup, moi aussi, donner ce coup de pied et remonter. c'est pas très agréable, de couler. mais c'est tout ce que je connais. vous n'avez pas le droit de m'en vouloir. je hais l'inconnu, je ne vais pas sauter dedans. les étoiles sont jolies, elles aussi. le trajet est long, tortueux et fait mal. à nous, et à ceux à nos côtés. à ceux restés à la surface aussi, qui voient en s'inquiétant les traces de vie se faire de plus en plus discrètes et rares. mais bon... c'est dur, de supporter leurs attentes, pour ne pas dire impossible. se noyer est paisible, à côté. même si pour ça l'indiffrence doit nous prendre jusqu'au dernier de nos souvenirs. c'est le prix à payer pour atteindre les étoiles. et oui, c'est dur. pour vous, ça paraît même encore plus insurmontable que faire l'effort de remonter un peu. mais pour nous, c'est plus simple. moins épuisant, aussi. on en a fait assez des efforts. bien des fois, on l'a effleuré du bout des orteils, ce coup de pied. il nous a démangé à travers la léthargie profonde et uniforme. on y a jamais réussi. qu'est-ce que tu veux. c'est plus simple, de la surface. tout paraît chaud et doré, alors que d'ici, c'est froid, c'est glacial, c'est bleuté, et c'est tellement beau, quand on y pense...
le sens de tout ça? je sais pas trop. on a pas décidé, hein. au début, c'est joli, et on a le contrôle. on sait qu'au moindre signe, on remonte à la surface. et puis sans s'en rendre compte, on le laisse filer entre nos doigts. quand on s'en aperçoit, c'est trop tard. il est déjà entièrement dilué dans l'eau glaciale qui nous environne, qui n'est plus si réchauffée qu'à la surface. alors on relève la tête. et on se rend compte qu'on s'est profondement enfoncés. on essaye de remonter, bien sûr, ça c'est l'instinct de survie. mais chaque tentative, bien qu'elle effleure quelques fois la réussite et paraisse même à de rares instants nous maintenir et nous faire remonter un peu, se solde d'un échec qui accélère la chute. le plongeon. la descente, si on veut être et rester correct.
alors moi, dans tout ça, bah...
j'ai toujours adoré le ciel. je vais dessiner des constellations dans mes abysses et sombrer dans les ténèbres.
j'abandonne la lutte. c'est trop dur.

des couleurs à l'âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant