Le soleil filtre à travers les persiennes de ma chambre, m'extirpe du sommeil dans lequel je suis confortablement installé. Je suis convaincu d'avoir fait un rêve étrange, bien qu'aucun souvenir ne me vienne dans l'immédiat. Les réminiscences de la nuit me démangent au plus profond de mon crâne, mais il ne demeure que quelques sensations. Rien de concret. J'ouvre les yeux et j'oublie, l'espace d'un instant, qui je peux bien être, où je me trouve et ce que je dois faire.
Je tourne ma tête vers la droite. Le réveil indique 07h58. Ça me revient, je dois aller au bureau. Il me reste deux minutes de répit avant de devoir enfiler ma chemise. Ne vous méprenez pas, j'adore mon boulot. Le monde de l'édition m'a toujours emballé. J'aime donner vie aux rêves des auteurs, voir leurs yeux s'émerveiller tandis qu'ils tiennent le tout premier exemplaire de leur ouvrage entre leurs mains. Sans parler de l'odeur si particulière de l'encre et du papier, qui me contraint à renifler tous les livres que j'achète. Seulement, savoir que mon temps est compté a dévoré une bonne partie de mon habituel enthousiasme. Renifler des pages entière de livres neuf ne saurait me le faire oublier.
« Nandemonaiya » de Noda Yojiro résonne enfin. Les premières notes s'élèvent, me renvoient aux scènes du film d'animation pour lequel elles furent composées. J'ai toujours beaucoup aimé ce genre d'animé. Les Japonais sont très forts pour y insuffler une quantité folle d'émotions, et le grand Miyazaki n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
Je balance mes jambes en dehors du lit et plante mes pieds sur le parquet. Sa fraîcheur traverse ma peau nue. Il grince légèrement quand je me lève pour me rendre dans la cuisine. Je sors le beurre du frigo, le dépose sur la table et m'en vais me doucher. Je prends toujours le temps de faire les choses dans cet ordre, car déchirer une tartine avec un morceau de beurre impossible à étaler, ça a le don de m'énerver pour le reste la matinée.
L'eau chaude me tombe en cascade sur les épaules et je me sens tout de suite mieux. C'est l'une des rares occasions où je parviens à me vider la tête. Je fais donc durer le plaisir un bon quart d'heure, conscient que mes problèmes viendront de nouveau m'assaillir sitôt séché.
J'enfile mon peignoir et rejoins ma cafetière dans la cuisine pour y boire un café noir, sans sucre. Non, je déconne. Ma virilité risque d'en prendre un coup, mais je dois vous avouer que j'ai horreur du café, même dans un éclair ou un tiramisu. Mon choix s'oriente donc vers un bol de lait mélangé à du nesquik. Je beurre ensuite trois tartines, y étale de la confiture de myrtilles, et avale le tout d'une traite.
Je retourne dans la salle de bain, me brosse les dents, et observe mon reflet dans le miroir. Je porte une attention particulière sur mes cernes qui n'en finissent plus de se creuser. Mes nuits ont été relativement agitées cette semaine et pas pour les bonnes raisons. Après son annonce, mon médecin m'a prescrit dix jours d'arrêt de travail, histoire de me laisser accuser le coup et de me reposer avant de prendre mes dispositions pour la suite. C'est assez drôle de se dire que je n'ai probablement jamais été aussi fatigué malgré tout le temps que j'ai passé à glander.
Je glisse un peigne dans ma barbe, y applique un baume et m'attaque à mes cheveux. Un peu de cire pour les coiffer en bataille, rien de plus. Ma chemise enfilée, la ceinture passée dans les mailles de mon jean et mes chaussures en cuir soigneusement cirées la veille, me voilà prêt à partir. Je traverse le couloir, attrape ma veste sur le porte-manteau de l'entrée, mes clés dans le pot fourre-tout et quitte la maison pour grimper dans ma voiture : une Peugeot 408.
Le moteur vrombit doucement, je fais marche arrière jusqu'au bout de mon allée puis je prends la direction du centre-ville de Dunkerque. J'habite à Quaëdypre, dans un pavillon perdu au milieu des champs. En temps normal il me faut un bon vingt minutes pour rejoindre les bureaux de la maison d'édition dans laquelle j'exerce, mais ce matin, entre l'accumulation de feux rouges et le bouchon causé par un accident sur l'A16, j'ai mis plus d'une demi-heure. Par chance, j'ai conservé mon habitude de prévoir un délai supplémentaire pour les pépins éventuels, j'arrive donc avec cinq minutes d'avance malgré tout.
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Pour que tout nous sépare.
RomanceEt si l'on ouvrait les yeux, lorsque nous sommes condamnés à les fermer...