Tout le monde n'a pas la chance de bénéficier d'un congé sans solde. Cela dit, si on considère ma situation, il serait sans doute préférable de troquer ces « vacances » contre une meilleure santé. J'essaye de voir le verre à moitié plein, vous voyez ? Vaut mieux que je me concentre sur les points positifs de ce paquet de merde qui m'est tombé sur la tête.
Par contre, je me retrouve à devoir attendre trois jours avant de pouvoir revoir Marion. Elle est de garde à la clinique jusqu'à jeudi, je peux donc préparer convenablement notre prochain rendez-vous. À défaut d'avoir la vie devant moi, je peux mettre ce temps à profit pour la surprendre.
Il me vient toujours d'étranges idées quand je planifie un rencard. Si le reste du temps je suis bien content d'hiberner dans mon appartement, allez savoir pourquoi ces rendez-vous réveillent ma soif d'aventure. Je ne saurais me contenter d'un dîner, d'une séance cinéma ou d'une balade sur la plage sur fond de couché de soleil. N'allez pas croire que je suis trop rustre pour entrevoir le romantisme qui accompagne les chandelles, les mains entrelacées dans l'obscurité ou le rosé d'un ciel sur le déclin. Je trouve simplement le courage de sortir de ma zone de confort et de vivre à fond des expériences tout à fait inédites.
Je scroll... je scroll... je scroll...
Après plusieurs heures de recherches, mon choix s'arrête sur l'annonce d'un escape game en réalité virtuelle. Je ne pensais même que ça se faisait. Cerise sur le gâteau : ils proposent un scénario sur le thème des œuvres de HP Lovecraft. Je m'empresse de valider mon panier et m'intéresse au choix du restaurant.
Là encore, je veux me montrer original. Marion a tellement de succès — enfin j'imagine, vu le nombre de conquêtes à son tableau de chasse — qu'il me sera d'autant plus difficile de sortir du lot. Bien que l'on se soit embrassé au parc, je ne dois surtout pas me reposer sur mes lauriers. Ma génération passe d'une chose à une autre si facilement, que cette relation naissante pourrait bien s'éteindre à la première étincelle.
Un restaurant retient mon attention. Je ne suis pas sûr d'y être à mon avantage mais Marion pourra mettre sa passion pour les Disney à l'épreuve. Je me fais vraiment violence pour ne pas lui teaser l'évènement par sms.
♈︎
Je ne peux m'empêcher de repenser à ce baiser deux ou trois fois par jour. Ça me fais du bien, même si la vendeuse à l'autre extrémité du rayon me dévisage. Elle ne doit pas voir tous les jours un presque trentenaire sourire béatement devant une chemise. Je repose le cintre.
L'un des autres avantages à être condamné, c'est que je ne regarde plus à la dépense. En plus de mes visites hebdomadaires chez le boucher et le fromager, j'ai décidé de renouveler mon dressing. Avec l'héritage de mes parents j'ai pu mettre pas mal d'argent de côté : en prévision de l'avenir, pour un éventuel mariage et les études des enfants. Je ne connaitrais rien de tout ça. Il est inutile de me faire enterrer avec.
Ah... Voilà que mon sourire s'évanouit déjà. J'oscille souvent entre la joie et les pleurs. Les premiers sanglots me compriment la gorge. Il faut que je reste fort, je ne peux pas me laisser aller au milieu du magasin. Il y aura forcément une pseudo âme charitable pour me demander si tout va bien, sauf que je n'ai pas envie de parler. Je sèche mes yeux humides d'un revers de manche et poursuis mes emplettes.
Ce soir je vois Marion, il me faut donc une tenue à la hauteur de l'évènement. Le problème, c'est que je ne sais jamais comment accorder mes vêtements pour que l'ensemble soit élégant sans tomber dans l'excès. Je finis par m'en tenir à mes habitudes et je ne tente aucune extravagance.
« Besoin d'aide, monsieur ? »
Je me retourne. La jeune femme à la peau noire qui me dévisageait quelques minutes plus tôt m'observe avec intérêt. D'imposantes lunettes rondes reposent sur son petit nez en trompette. Elles dissimulent à peine ses iris d'ambre qui brillent de malice.
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Pour que tout nous sépare.
Roman d'amourEt si l'on ouvrait les yeux, lorsque nous sommes condamnés à les fermer...