Les Cuvier étaient une famille très appréciée du Gravelinois. François et Liliane, heureux propriétaires d'un pavillon en bord de mer, et de deux enfants : Martin et Eloise, suscitaient la sympathie de la part de leurs voisins. Martin et Eloise étaient respectivement âgés de dix sept et quinze ans. Bons élèves, polis et investis dans la vie familiale et communale, ils incarnaient les archétypes des enfants que chaque parent rêve d'avoir.
Membre du club d'aviron, Martin était un jeune homme bien battit dont la crinière blonde assurait la venue régulière de demoiselles sur le perron de la maison. C'était un vrai bourreau des coeurs, un Don Juan si vous préférez. J'occupais la chambre voisine de la sienne, et même si l'isolation se révéla de bonne facture, je ne pouvais faire autrement qu'entendre ses ébats durant l'absence de ses parents si je restais dans ma chambre.
Eloise quant à elle, était membre du club cinéma de son lycée. Brune aux yeux bleus, les jambes élancées, les fesses rebondies, et un sourire en coin capable de vous faire défaillir : elle était magnifique. Ça me fais toujours aussi mal de penser à elle, car même après toutes ces années, je ne me sens toujours pas capable d'indifférence face à ses charmes. Pour être tout à fait honnête avec vous, elle est la première femme pour laquelle mon coeur s'est emballé. Elle m'apparait en rêve, désirable et toute puissante. Je ne deviens qu'un simple pantin entre ses mains et j'y prends du plaisir malgré tout ce qu'elle a pu me faire. Elle nourrissait une passion dévorante pour les comédies romantiques. Enfin, c'est ce qu'elle faisait croire à tout le monde. Pour ma part, j'eus la désagréable surprise de découvrir qu'elle préférait de loin les films d'horreur, à plus forte raison quand ils étaient réalisés par des amateurs. Elle aimait l'authenticité des novices, voir la véritable terreur déformer leurs visages et les clouer au sol. Elle aspirait à devenir une réalisatrice capable d'exposer la peur dans sa forme la plus pure, mais contrairement aux acteurs de ces films, moi, je n'étais pas consentant.
Le mois d'août déjà bien entamé, toute la famille se réunit pour accueillir mon arrivée. Pour me faire bonne impression et m'aider à m'intégrer, ils jugèrent bon de préparer une petite fête. Rien d'extravagant, juste un barbecue au grand air pour profiter du soleil. Sur fond de graisse de brochettes tombant sur les braises, je les voyais sourire, plaisanter et tenter de détendre l'atmosphère en me proposant de jouer au basket, aux fléchettes, ou de piquer une tête dans la piscine. En pleine canicule, il aurait été agréable de me jeter à l'eau, mais je me contentai de refuser poliment. N'importe quel gamin de douze ans se serait montré méfiant en débarquant chez des inconnus, mais moi je veillais à l'être encore davantage. Mon père me répétait souvent que dans la vie, la méfiance est la clé de la survie, car c'est en restant sur nos gardes que l'on parvient à discerner les sincères des hypocrites. Je n'aurais pu anticiper qu'ils soient si doués, au point de pouvoir m'amadouer sans que je ne m'en aperçoive...
Ma chambre se révéla confortablement meublée : un lit, un bureau, des jouets qui débordaient de la caisse en bois, des étagères sur lesquelles étaient disposés des centaines de bandes-dessinées, j'avais même une console de jeux et un dressing. Je déballai mes affaires, soit quelques vêtements, une photo de moi avec mes parents, le médaillon fétiche de ma mère et trois livres : « Notre dame de Paris » de Victor Hugo, « Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne et « la peau de chagrin » de Balzac. C'étaient les livres favoris de mon père, et j'avais jugé bon de les emmener lorsque je me rendis chez moi avec madame Prévaut. Elle m'avait enjoint à ne prendre que le strict nécessaire, le reste des biens serait remisé jusqu'à ma majorité, conformément au testament.
Je demeurais seul durant les premiers jours, les Cuvier ne voulaient pas me brusquer. Mes pensées allaient naturellement vers mes parents, vers tout ce que j'avais perdu depuis l'accident. C'est difficile de mettre des mots sur ce sentiment qui me prenait aux tripes, je devenais étranger à moi même, comme si je m'étais transformé en témoin passif du temps qui s'écoule, en un coeur vide de toute joie. Qui étais-je ? Quel était l'intérêt de poursuivre une route qui ne me mènerait nulle part ? J'avais encore la vie devant moi. Pourtant, je songeais déjà à la possibilité d'y mettre fin.
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Pour que tout nous sépare.
Roman d'amourEt si l'on ouvrait les yeux, lorsque nous sommes condamnés à les fermer...