je me souviens assez mal de nos derniers jours — de tes derniers jours. ils s'enfoncent dans le flou, le vague et l'abstrait. je me souviens de ton visage des derniers instants, de tes traits tendus et ton teint blême. ils étaient comme un écho parfait à mon propre état. je ne suis pas réellement capable de savoir comment le feu a fini par s'éteindre ou même si la flamme est morte avant toi. j'ai toujours de l'amour pour toi sosthene, un amour qui est éternel et qui se reflète dans la douceur du mariage, la passion de nos corps.
les derniers jours ont été courts mais pourtant étirés dans la lenteur, dans une retenue profonde et pleine d'agonie. je regrette ta mort, je te regrette si fort. je regrette les mots durs et les regards lourds. je regrette les mots libres et les regards vides. je regrette les maux fous et les retards flous. je regrette les maux livides et les regards ivres. je regrette ce que j'ai dit — et ce que je n'ai pas dit. je regrette ce que j'ai regardé — et ce que je n'ai pas regardé.
les derniers jours on s'est aimés plus que jamais, dans la conscience totale que ça serait la dernière fois, que malgré cette apparence idyllique quelque chose était cassé. comment aimer si on est dans l'incapacité de s'aimer ? comment aimer si on ne sait pas faire le deuil de notre propre haine ? comment faire pour t'aimer alors que tu te détestais ? la décision a été sans appel, dans un accord commun, une sentence sur la feuille la plus froissée du cœur. et dans l'amour, dans ses tréfonds paisibles et censés on a mis en suspens ce désir éternel, on a mis entre parenthèses ces esprits perdus, à travers lui et ses failles.
alors, le matin du dernier jour — de ton dernier jour — on a mis un des vinyles de fauve et on s'est intensément regardés pour ne jamais s'oublier. nous pleurions comme deux enfants, comme deux adolescents, comme deux jeunes hommes, comme deux jeunes femmes, comme deux adultes, comme deux vieillards. j'ai attrapé nos souvenirs dans tes yeux, je les aies laissé virevolter dans mon cœur, dans ce que je suis et puis je te les aies rendu, pour que toi aussi tu nous revois dans l'absence.
on s'est plantés dans le salon et à travers la porte ouverte je voyais du coin de l'œil la table en formica de la cuisine. je la regardais avec méchanceté, avec férocité ; je la haïssais elle, et nos failles. on s'est enlacés dans les restes de l'amour, enfouis dans leur chaleur et je perçois encore des soupçons de ton odeur sur ma peau. on s'est embrassés avec passion, avec sensations et sensibilité. il y avait dans nos bouches, contre nos lèvres, sur nos peaux collées, partout, la trace de l'amour ; ses grains de beauté comme des constellations, ses ecchymoses au cœur, ses cicatrices de peur.
"tu t'envoles combien de temps ? tu laisses tes affaires ici ? je t'avais demandé, lançant un souffle chaud dans le creux de ton cou. mes mains caressaient ton dos, froissaient ta peau et je me rassassiais de tous ces souvenirs éphémères, amers.
"je vais errer, renouer avec moi-même quelques temps. je te préviens dès que je reviens ou si je m'en vais pour de bon je passerai chercher mes affaires." tu avais dis sans bruit, sans bruissement, sans entrave.
"je vais errer aux côtés de tes affaires moi, alors. et si j'ai besoin de m'en débarrasser, d'errer seul moi aussi je te préviendrais." j'avais répondu comme dans un écho, un ombre, un autre toi ou bien un autre moi.
on s'est regardés droit dans les yeux — dans l'amour — et on s'est dit "je t'aime" en même temps. l'atmosphère était douce d'une légèreté sans fin, sans le moindre chagrin. il faisait soleil malgré le froid de janvier et j'ai pensé aux flammes de la cheminée de papi qui commençaient à s'éteindre. on s'est souris et tu t'es détaché de moi, à demi tourné vers la porte d'entrée, déjà enfui.
et sur le pas de la porte, en équilibre entre l'amour et sa mort — ta mort — tu as dit "si jamais les choses ne se passent pas comme ça, si on ne se revoit pas, allume une bougie le soir de ma mort." et puis tu es parti sans que je puisse te rattraper, dans les éclats des adieux.
fin
—
coucou :)
déjà je te remercie très fort d'avoir lu cette œuvre. j'ai mis énormément de temps à l'écrire mais j'aime beaucoup le résultat final
et oui, il n'est jamais dit comment/de quoi est mort sosthene, c'était l'un des buts de l'œuvre donc voilà :)
en tout cas j'espère que tu as aimé :)
bonne journée/soirée/nuit <3fau 🌻