enterrement de vie de garçon (mourir un peu)

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le vendredi treize avril deux mille dix neuf, on s'est mariés. il y avait rufus, imaë et aiko. et puis toi et moi. c'était très tard dans la nuit noire, éclairés par les lueurs de l'espoir. on avait tout juste dix neuf ans et on s'est mariés, pour toute la vie. on aurait pu se séparer, divorcer, se disputer avec force et pourtant nous restions mariés. nous avions une force en commun, les serments d'un mariage invisible et égaré.

on s'est mariés dans un entrepôt désaffecté, là où même la mort n'aurait pas pu nous trouver. on s'est mariés en écoutant fauve, sur des mots bancals et des yeux luisants. luisants de bonheur, luisants de pleurs. et puis on a fait couler l'alcool dans nos corps, des bouteilles et des bouteilles de bière. et puis le verre s'est entassé et on s'est entaillé les veines à force de trop rêver. ou était-ce à cause de trop s'aimer.

j'ai aimé te passer la bague au doigt avec délicatesse, la laisser effleurer ton minuscule grain de beauté et faire vibrer ta peau. la bague était un simple anneau noir où j'avais fait gravé deux mots, les plus précieux d'entre tous : vie fauve. et puis avec la musique assourdissante en fond, couvrant les légers bruits de la nuit.

on avait dix neuf ans mais je voyais ma vie avec toi. je nous voyais à trente ans, gérant un disquaire ou bien un petit bar-concert. je nous voyais à quarante cinq ans, faire le tour du monde. et pis peut-être qu'on aurait adopté un gosse à trente cinq ans. ou alors on en aurait fait un, si tu voulais bien être enceint. on aurait eu un gosse, un enfant qu'on aurait chérit avec une tendresse infinie. cet enfant aurait eu les pères les plus fous, les plus beaux, les plus vivants de tous. et puis cet enfant aurait eu des pères qui auraient aussi été ses mères, et puis juste ses aînés, ses semblables. et puis on aurait été heureux ensemble. je nous voyais lorsque cet enfant serait grand, parti, envolé. et on se serait de nouveau retrouvés tous les deux, dans notre appart de paname. celui où, avec notre enfant, tu aurais regarder les gens et les voitures passer. mais on aurait vieillis et les deux ch'vaux vertes se feraient rares.

je nous voyais et je nous vois toujours, vivants jusqu'à quatre vingt dix ans, heureux à en faire pâlir la nuit. le jour de notre mariage je nous voyais si fort que dans mes yeux les couleurs se mélangeaient. il faisait gris, il faisait nuit, il faisait vert, bleu, jaune, rouge, magenta et bientôt fauve. il faisait toi et moi et je nous aies vu une fraction de seconde, quand sur nuits fauves on avait murmuré, les yeux dans les yeux : "veux-tu m'épouser, vivre et mourir à mes côtés ?"

si seulement j'avais su que ce mariage était le début d'une mort certaine, d'une mort inévitable. tu ne vivras jamais jusqu'à quatre vingt dix ans ; tu es mort neuf mois après nos enterrements de vie de garçons. j'ai enterré ton corps loin de moi, profondément sous la terre comme nous avons enterré notre solitude la plus profonde.

le fracas des (a)dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant