"comment tu es tombé amoureux de moi ?" tu m'as demandé par une belle soirée d'été, lorsque le ciel déclinait dans la multiplicité éclatante de couleurs. "j'aimerai te répondre la première fois que je t'ai vu mais ce ne serait pas la vérité - et tu le sais aussi bien que moi." j'ai répondu, dans un souffle timide et léger. tu as ris un peu et j'ai continué en voyant que les mots ne se bousculaient pas dans ta gorge, dans tes entrailles.
la première fois que je t'ai vu c'était le premier jour de la sixième et dès que j'ai vu tes longs cheveux tressés et tes yeux bleus de fillette je me suis détourné. le petit moi ne voyait sous ta longue jupe, sur tes mains fines et dans ta voix aiguë que le désintérêt le plus total, une indifférence qui me rendrait fout si un jour quelqu'un te regardait ainsi. moi, je vivais dans les yeux fardés de bowie, dans l'androgynie des autres, en écho à la mienne, dissimulée. tu étais dans ma classe et pourtant je t'ai directement oublié, hypnotisé par l'ambiguïté des genres, par leur complicité. je t'ai oublié dès que je t'ai vu, je t'ai oublié comme on oublie un mort, comme tu tomberas dans l'oubli. mais pourtant, il restera tes yeux noircis par le maquillage, noircis par les larmes, noircis par la joie. il restera tes yeux dans lesquels j'ai fini par me plonger, par me noyer - dans l'amour.
"je suis tombé amoureux de toi peu à peu, avec lenteur et douceur. je me souviens de nos débuts d'amitié, l'année de la troisième, cette année chaotique et piquant le nez de son odeur forte. je suis tombé amoureux de toi en fondant dans les tréfonds de la légèreté, dans la découverte des méandres du monde. je suis tombé de toi en comprenant que le genre est détruit, cassé, incorrect. je suis tombé amoureux de toi comme j'aurai dû le faire la première fois que je t'ai vu, sans penser, sans même exister." j'ai dit.
"tu es tombé amoureux de moi parce que je suis ton reflet, je suis déformé. ton reflet dans un miroir brisé, éclaté en morceaux, mutilé et finalement tordu. je suis toi-même et c'est pourquoi tu as mis autant de temps à m'aimer, pourquoi la brutalité de l'amour a été si lente avec toi. c'est compliqué de s'aimer soi-même, de comprendre comment fonctionnent les mécanismes des sentiments. tu es tombé amoureux de moi et j'ai entaillé ta peau, je t'ai entraîné sous les jupes de l'amour, dans les sous vêtements du bonheur, sur les bas rouges de la vie. tu es tombé amoureux de moi, thao et ensemble on s'est perdus dans la neutralité de l'amour, dans son ivresse translucide, celle qui fait crier les femmes et pleurer les hommes. nous ne sommes ni des femmes, ni des hommes, nous sommes seulement enfouis sous les jupes de l'amour et on niche les étoiles de nos yeux sur sa sensualité." tu as dit et j'ai embrassé tes mots avec la douceur d'une demoiselle, la délicatesse d'un damoiseau.
cette conversation est ancrée dans le présent, absente de l'oubli car tu l'as écrite dans l'un de tes carnets noirs, noir profond. je l'ai retrouvé hier en faisant du rangement dans tes affaires, peut-être pour les rendre à tes parents - que je n'arriverai plus jamais à voir, ou bien à regarder en face. non, en réalité, j'ai voulu retourné les souvenirs, les restes de toi pour y trouver ta présence, l'absence de ton absence, pour remplir le vide que tu as laissé en moi.
j'ai pleuré quand j'ai vu le carnet. tu avais écrit au dos, sur la noirceur épaisse, dans un tout petit coin, "sosthene - août 2019". j'ai pleuré parce que 2019 est la dernière année entière que tu as vécu et que ce prénom - ton prénom - ne sera jamais plus écrit ainsi. sur tranche il était inscrit "le soleil chasse la mort". j'ai pleuré et j'ai maudis le soleil de s'être enfui une seconde de trop.