corps miroir (la jalousie d'apollon)

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j'ai retrouvé des photos de ton corps, à l'abri du monde dans une petite boîte en métal — tu adorais les boîtes en métal, elles s'entassaient dans l'appartement. ce sont des photos que j'ai pris quelques jours après la fête de rufus, le 21 novembre 2019, comme tu l'avais écrit au dos. les dates étaient précieuses pour toi, inscrites comme de l'or sur ton corps. "elles gravent les souvenirs et figent le temps" tu m'as dit, une fois, à leur sujet. j'avais trouvé ça vrai alors j'avais acquiescé.

la perte de ton corps est l'une des choses qui me rend le plus triste dans ta mort. auparavant si rempli de vie, il pourrit désormais dans un cimetière vide et sombre. je ne reverrai jamais ton corps. sa chaleur ne coulera plus sur moi telle la cire d'une bougie qui brûle le monde sur son passage et puis s'arrête. la brutalité de l'arrêt, de la limite atteinte est forte et retentit dans tout le corps. il manque à la vie ton corps inspiré de la divinité ; j'aimerai le voler à la mort, l'emprisonner dans mes bras.

je me rappelle de ces photos dans les moindres détails, de la façon dont je les aies fait, la façon dont tu les as laissé figer ta peau. pourtant, je connaissais tes réticences ; tu n'aimais pas ton corps et en voir le reflet sur une photo t'étais insupportable. aujourd'hui, je regarde ces clichés, la gorge serrée, le cœur lourd et pesant, presque hors de moi et je pleure la perte de ton corps. je pleure la perte de tes yeux bleus, de tes cheveux noirs, de ton nez décoré par des taches de rousseurs, tes lèvres gercées de douceur, tes joues rouges dans l'amour, ton front lisse et délicat, les anneaux noirs égarés sur tes oreilles. je pleure le manque de ton visage, l'absence terrible et terrifiante de tes yeux dans mes yeux.

je n'ai pas pleuré devant ta tombe à l'enterrement ; je pleure en voyant ton corps sur les photos. je pleure en passant mon doigt sur ton cou perlé de douceur, sur ta petite paume d'adam parfaitement ronde, sur ta mâchoire que tu rêvais toujours plus carrée, sur tes clavicules visible dans la beauté, sur la fragilité de tes pectoraux, sur la timidité de tes cicatrices en dessous de tes tétons — ou de celles sur tes poignets — sur ton ventre océan parsemé par l'écume des jours pluvieux, sur la grâce de tes mains, sur tes phalanges abimées ou sur tes veines les plus sensibles, sur le symbole de fauve — celui de la différence brute — tatoué sur ton bicep, sur la clarté de tes poils, en réel contraste avec tes cheveux, sur tes pieds trop pointés pendant les cours de danse et sur tes cuisses château fort, coffre au trésor.

je pleure pour tous les détails de ton corps, même ceux qui ne sont pas sur les photos. je pleure pour tous les détails morts avec toi, enterrés très loin de moi, devenus absence. j'ai le mal de ton absence, du manque de ta présence alors je me raconte des souvenirs ; je te vis de nouveau. je te vois enfant, à travers les souvenirs que tu m'avais toi-même raconté, ou ce qu'on dit tes parents à l'enterrement. tu étais un de ces enfant tristes qui sautent dans les flaques d'eau pour brouiller le reflet gris du ciel. tu étais un de ces adolescents brûlant dans le chagrin, consumé par sa propre perte. tu étais un de ces jeunes homme à qui on sourit dans le métro ou dans la rue, sans même savoir pourquoi. tu étais une de ces personnes dont le corps est un vestige profond de la beauté.

je me suis souvenu de ton corps pendant l'amour, dans l'amour, grâce à l'amour. et sur un papier que j'ai collé sur la boîte en métal, j'ai écrit "[le corps de] sosthene possède l'impossibilité de tomber dans l'oubli". et puis je l'ai déposé dans un coin de l'appartement devenu ton tombeau, ta sépulture et le lieu de tes souvenirs.

le fracas des (a)dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant