Ania

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Comme chaque matin, Ania O. Karlson ouvrit en grand les volets rouges de sa chambre et inspira une grande bouffée d'air frais. Ce matin-là, le temps était clair et promettait un soleil magnifique pour le reste de la journée. Elle s'étira tout en laissant errer ses yeux verts sur la forêt qui s'étendait à l'extérieur. Elle veilla à éveiller chacun de ses muscles afin d'être dans des conditions optimales pour la journée. La fin de l'année scolaire approchait et bientôt les grandes vacances s'offriraient à elle. L'année suivante, en septembre, elle entrerait dans l'un des meilleurs collèges de la ville voisine et devrait se séparer de ses amis qui eux resteraient dans l'établissement à proximité. Elle savait que ses parents souhaitaient le meilleur pour elle, elle le comprenait, mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de colère à l'idée de se retrouver seule. Ils la voyaient déjà devenir une grande avocate ou chirurgienne. Ils avaient de très grands projets pour leur fille. De bien trop grands selon elle. Elle n'était même pas sûre de ce qu'elle voulait faire plus tard, mais elle était convaincue qu'un métier plus calme lui conviendrait davantage. Enfin, elle avait encore un peu de temps devant elle pour y songer et étudier dans une bonne école ne pouvait qu'améliorer ses chances.

Elle revêtit l'uniforme noir et gris de son école et attacha ses cheveux noirs en une queue de cheval fermement maintenue par deux élastiques sombres. Elle descendit au rez-de-chaussée rapidement pour arriver dans un salon à la décoration désuète dont sa mère se plaignait chaque jour mais qu'elle ne trouvait jamais le temps de refaire. Ania lui trouvait un certain charme, certainement parce qu'elle avait toujours connu les lieux ainsi. Le vieux canapé appartenait à son grand-père et occupait la majorité de la pièce depuis bien des décennies et personne n'aurait envisagé de le bouger de là. Les O. Karlson avaient l'habitude de s'y réunir pendant de longues heures pour ce qui ressemblait à une réunion de famille, c'était surtout l'opportunité pour ses parents de se plaindre de tels ou tels collègues où voisins qui auraient fait une action déplaisante à leurs yeux. Son père était justement installé dessus en train de lire les nouvelles du jour avant de partir travailler. Sa mère devait se trouver dans la salle de bain finissant d'ajuster son maquillage et ses cheveux de manière sophistiquée. Son frère et sa sœur devaient encore être dans leurs chambres.

Elle déjeuna donc rapidement et seule en relisant le cours sur lequel elle serait interrogée le jour même. Elle n'avait pas spécialement de difficultés scolairement parlant, mais avait toujours un peu de mal à apprendre par cœur tout ce que ses professeurs souhaitaient. Souvent, elle apprenait les grandes idées et les restituait sur sa copie avec sa propre formulation. Cela s'avérait rarement satisfaisant, il était attendu d'elle du mot à mot. Sans doute serait-elle seulement dans la moyenne aujourd'hui encore. Sa mère ne cessait de dire qu'elle se bridait volontairement lors des épreuves et qu'elle pourrait être loin devant les autres si elle utilisait toutes ses capacités. Finalement, cela importait-il réellement qu'elle soit la meilleure ?

*

La journée avait été longue et les cours ennuyeux. Sa tante lui avait fait prendre de l'avance sur le programme lors des dernières vacances, ainsi savait-elle déjà presque tout. Sa tante se révélait intransigeante. Elle s'allongea sur son lit et laissa son regard vagabonder longuement sur le plafond, pensive. Sa mère rentrerait bientôt et la houspillerait pour qu'elle fasse ses devoirs qu'elle corrigerait et lui ferait recommencer jusqu'à ce qu'il ne demeure plus une faute. Elle profitait donc de ces derniers instants de libre pour la soirée. Elle espérait secrètement que tout cela changerait l'année suivante, qu'elle pourrait enfin jouir de plus de liberté et faire ce qu'il lui plairait. Elle y croyait bien peu. Il fallait rester lucide.

La soirée passa rapidement et elle dû, comme elle l'avait imaginé, reprendre plusieurs fois un exercice de mathématiques qui lui avait donné du fil à retordre. Elle était désormais postée à sa fenêtre regardant le ciel dans un moment de détente bien mérité. L'instant était reposant. Elle aurait pu rester ainsi la nuit entière. Néanmoins, elle finit par quitter son poste d'observation pour s'arrêter devant sa bibliothèque. Il lui restait un peu de temps avant de dormir, temps qu'elle allait passer plongée dans un livre. Elle laissa son doigt courir le long des livres à la recherche d'un en particulier. Elle soupira et au même moment son regard s'arrêta sur l'ouvrage en question. Que faisait-il sur l'étagère du haut ? Là, n'avait jamais été sa place. Elle était bien trop petite pour l'attraper même en se hissant sur la pointe des pieds. Elle ancra son regard sur la couverture verte, son visage reflétant une moue mécontente.

Vous avez dit sorcière ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant