Chapitre 6 Une attaque en règle

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Des détonations fusent à l'intérieur comme à l'extérieur du bâtiment. Cyril saisit un pantalon et manque de trébucher en l'enfilant.
- Tu comptes rester là me regarder, lance-t-il à Théo sur un ton agressif.
- Non Monsieur, mais ... Théo hésite.
- Quoi ?
- Ils ont un augmenté et un fusil laser !
- Et alors ?
Théo repart aussi vite qu'il est apparu. Anna est perdue. Elle cherche un endroit où se cacher. Cette réaction a toujours été son premier réflexe lorsqu'elle fait face à un danger.
- Suis-moi Bichette, souffle Cyril, à présent habillé d'un pull noir et d'une veste en cuir usé.
L'homme sort son pistolet de son holster.
Anna reste figée quelques secondes puis lui emboîte le pas.
- On va monter, ordonne-t-il. Plus tu seras en hauteur, plus tu seras en sécurité.
Anna songe que la vie réserve bien des surprises. Il y a encore quelques minutes, l'homme lui paraissait haïssable. Il lui inspirait un profond sentiment de crainte. En quelques secondes, tout a basculé. Maintenant, sa survie semble dépendre de ce type. Toutefois, une chose lui paraît encore plus étrange. Elle le trouve presque sympathique.
- Bordel, braille l'homme essoufflé.
Des trous apparaissent dans les murs du corridor.
- Bordel ! Ils ont réussi à avoir un fusil laser ! S'emporte Cyril.
- C'est qui, ceux qui nous attaquent se risque à demander Anna.
- Les gens de l'Est, répond laconiquement l'homme, essoufflé. Oh, putain, ils vont voir de quel bois on se chauffe ici !
Il range son pistolet dans son holster. Il se précipite dans un appartement après s'être arrêté deux étages plus haut.
- Tu t'es déjà battu la toubib ?
- Non, jamais, répond Anna angoissée.
Cyril lui tend un fusil. Il semble peser cinquante kilos.
- Tiens, prends ça, tu vises et tu tires.
Ils s'approchent d'une fenêtre qui donne sur un balcon. Cyril actionne la poignée de la fenêtre et l'ouvre  lentement.
- Tire sur l'augmenté, recommande-t-il en chuchotant.
La jeune femme sait tout de suite ce qu'elle doit faire. Elle sait à quoi peut ressembler un augmenté. Il s'agit d'une personne qui a bénéficié d'améliorations corporelles. En général, ces personnes sont beaucoup plus fortes que n'importe quelle créature venue au monde naturellement. Anna en a vu à plusieurs reprises. A chaque fois, c'était sur une table d'opération. Dzns les publicités, les augmentés soulevaient des camions et couraient plus vite qu'une voiture. Mais dans la vie réelle, la plupart du temps, les greffons bioniques étaient rejetés par l'organisme. Des images de membres nécrosés lui reviennent en mémoire. Elle se ressaisit, s'avance sur le balcon en baissant prudemment la tête. Comme elle vient de le dire à Cyril, elle n'a aucune expérience du combat. Elle a bien vu des reportages sur le sujet, et beaucoup joué à des jeux de guerre, mais là, le conflit se déroule dans la vraie vie. Les explosions et les cris qu'elle entend sont bien réels. Elle se sent bien moins courageuse que lorsqu'elle jouait avec son casque de réalité virtuelle et ses accessoires vidéo-ludiques. Cyril s'approche à quelques centimètres d'elle et chuchote quelque chose, elle ne l'entend pas, sa voix est couverte par les coups de feu et les explosions. Ça sent la chair brûlée et un relent d'essence.
- Nos armes sont à balles pulseés ioniques, Si on arrive à le toucher, on peut fumer l'augmenté, braille Cyril en collant sa bouche sur l'oreille d'Anna. Elle rend compte qu'il sent horriblement mauvais de la bouche.
Des flashes de lumière illuminent l'obscurité. Dépassé par l'ampleur de l'offensive, Cyril lève subrepticement la tête de temps à autre pour tirer à l'aveuglette.
- On n'a plus choix , faut se faire sauter. Je ne veux rien leur lâcher, se lamente-t'il.
Apparemment, Il a perdu les pédales. C'est que pense en tous cas Anna, lorsqu'elle croise le regard ébahi de Cyril.
- Reprenez-vous, il y certainement quelque chose à faire.
Anna se recroqueville derrière le rebord du balcon puis lève la tête. Une trentaine d'hommes progressent vers le bâtiment, courant et cherchant un abri à chaque tir de contre-offensive. L'un d'eux se distingue par sa rapidité et sa force. Il soulève une carcasse de voiture et la lance sur deux hommes qui s'apprêtent à se replier dans le bâtiment. Des cercles lumineux balaient les environs de l'immeuble. Quelqu'un lance un petit objet de la taille d'un gros caillou en direction d'un assaillant. Il s'ensuit une gigantesque explosion. Les oreilles d'Anna sifflent, elle n'entend quasiment plus rien.
Cyril semble s'être ressaisi. Ses doigts se crispent sur la poignée de son arme, il retrouve son regard d'acier. Il se redresse.
- Allez, venez mes mignons, y en aura pour tout le monde. Il tire au jugé.
Anna profite de la diversion. Elle aussi prend son courage à deux mains et épaule son arme. Elle n'a jamais tiré pour de vrai. Pourtant, elle a l'impression d'ajuster sa visée sur l'augmenté de façon naturelle. Sans réfléchir, par réflexe, elle accompagne le mouvement de sa proie. Sa respiration ralentit, elle appuie sur la détente. Pas de recul ni de bruit. La cible s'immobilise. Du sang jaillit de son torse. Un énorme trou est apparu à l'emplacement du cœur. On voit à travers. L'ennemi s'écroule. Une balle passe à quelques centimètres d'Anna.
- Couche-toi, on est repérès, ordonne Cyril.
Anna s'exécute, son cœur bat à tout rompre. Elle vient de tuer quelqu'un ! Elle a été prise pour cible et a effleuré la mort. Elle se sent terrifiée. En même temps, et de façon inattendue, elle se sent exaltée. Cet instant a quelque chose d'ordalique. Elle se sent vivante, puissante.
- Beau tir la toubib ! Vite, on bouge !
Cyril saisit le poignet gauche d'Anna et la tire vers l'appartement quelques secondes avant que des trous ne se forment dans  le ciment du balcon, à l'emplacement même où se trouvait Anna il y a encore quelques secondes. Ils rejoignent l'escalier principal du bâtiment. Tout le monde court comme dans une fourmilière. Les habitants de l'immeuble paniquent. La plupart court, une arme à la main, dans la désorganisation la plus totale.
- Chef, chef ! hurle James, apparemment secoué. Il a toutefois l'air calme et ne panique pas. Ils commencent à rentrer dans le bâtiment. On fait quoi ?
- On se replie au neuvième, ils ne doivent pas toucher à la bouffe.
James acquiesce, et lance des ordres aux personnes autour de lui. Une femme d'une quarantaine d'années reste assise sur une marche, son arme est posée à côté d'elle. Elle sanglote, la tête entre ses mains.
- Bouge, toi ! beugle Cyril.
La femme apeurée ne réagit pas.
- Elle est traumatisée, remarque Anna constatant que la pauvre femme s'agite d'avant en arrière de façon mécanique.
- Je te le répète une dernière fois Jessy, barre-toi de là ou c'est moi qui vais te flinguer.
Joignant le geste à la parole, le gros barbu sort son pistolet de son holster et pointe le canon de son arme en direction de la tête de la femme en pleurs qui ne réagit pas. Deux hommes arrêtent leur course en arrivant devant la scène. Ils se figent, stupéfaits. Anna s'interpose.
- Vous ne pouvez pas faire ça, proteste t'elle.
- Ce n'est pas une question de pouvoir, mais de devoir. De tous temps, les chefs de guerre ont dû éliminer les déserteurs. Pousse toi, ou c'est toi que j'abats.
Encore grisée par l'adrénaline, Anna serre les dents et se fige. Toujours interposée entre le canon de l'arme et sa cible, la jeune femme toise le maître des lieux du regard. Ce dernier a deux choix. Exécuter les deux femmes et se montrer inflexible ou les épargner. Anna songe qu'en tant que médecin, elle a revêt une importance capitale aux yeux du chef. Cyril fronce les sourcils, puis baisse les yeux en grimaçant. Elle a gagné le face à face. La femme, toujours en pleurs, lève la tête, des larmes roulent ses joues. Son regard amande renvoie une profonde tristesse. Sa mâchoire tremble.
– Merci, bredouille-t-elle, d'une voix faible, ils ont ... Ils ont tué mon fils.
Anna s'accroupit et pose sa main sur l'épaule de la mère éplorée. Cyril secoue la tête, l'air exaspéré. Il baisse son arme et se dirige vers l'étage supérieur. Les hommes qui assistaient à la scène le suivent.
– Fais comme tu veux, bougonne-t-il. Tu devrais me suivre, ces bâtards vont envahir l'étage. Y a plus que vous deux.
Suite au départ des derniers défenseurs, le silence s'installe. Un silence inquiétant.
– Ils ont eu mon fils, ils ont tué mon fils, répète la femme, toujours prostrée.
– Il faut bouger, suggère Anna.
L'inconnue est toujours immobile. Son regard semble se perdre dans le vide. Anna trépigne. Que faire, sauver sa vie et la laisser là ? Ce n'est pas humain. Pourtant elle sent que c'est la seule décision qui s'impose. Les attaquants vont arriver. Elle entend des pas dans l'escalier. Ils doivent être au deuxième, le son est encore faible.
– Tu t'appelles comment ? demande Anna, tentant d'établir le dialogue.
– Jessy
– Jessy, il faut bouger. Ton fils n'aimerait pas que tu te laisses tuer sans te défendre, sans le venger.
Jessy secoue la tête, les bruits de pas indiquent que les autres s'approchent.
- Jessy, fais le pour moi, je ne te laisserai pas seule, Suis-moi.
Jessy lève une nouvelle fois da tête vers Anna. Cette dernière tente d'exprimer par son regard toute la compassion qu'elle éprouve, elle lui sourit. Ses yeux brillent.
– Ok, lance timidement Jessy, je te suis.
L'ennemi est parvenu à l'étage inférieur. Anna les entend parler à voix basse.
– Ici les gars, y a du monde à l'étage au-dessus.

Après la finOù les histoires vivent. Découvrez maintenant