Chapitre 2 De nouveaux visages

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Anna retient son souffle. Son cœur bat si fort qu'elle a l'impression qu'on pourrait percevoir ses battements dans toute la pièce. Elle entend l'inconnu fouiller dans son armoire et dans le tiroir de la table de nuit. Il pose une sorte de lanterne électrique sur le sol. Anna plisse les yeux, aveuglée, puis s'habitue progressivement au rayonnement de l'ampoule LED.
– Y a de la bouffe , du coca même du pinard ! se réjouit l'importun au rez de chaussée, criant assez fort pour être entendu par son comparse situé à l'étage supérieur.
– Ici, y a rien, juste des bouquins et des fringues, répond le pilleur qui se tient à un mètre d'Anna.
Ce dernier s'apprête à quitter la pièce et soulève la poussière du tapis en marchant d'un pas lourd. La jeune fille est prise d'une irrépressible envie d'éternuer. Elle retient sa respiration, se concentre, en vain. Atchoum !
– A tes souhaits, braille l'homme dans la cuisine.
– C'est pas moi ducon.
Anna perçoit un léger bruit métallique. L'inconnu a baissé le levier de sécurité de son fusil. Il recule d'un pas puis semble s'immobiliser.
– Sors de ta cachette et ne fais rien de stupide.
Anna est pétrifiée. Elle entend l'autre homme courir dans les escaliers. Quelques secondes plus tard, il rejoint son complice dans la pièce.
– Sors de là, je te dis.
Anna obtempère. Elle n'a pas pas vraiment d'autre choix. Lentement, elle s'extirpe de sa cachette en rampant. Elle jette un regard apeuré à l'homme qui l'a tient en joue avec un Ak47. Anna reconnaît immédiatement l'arme. Dans le monde d'avant, elle jouait beaucoup aux jeux vidéos. L'arme était souvent présente dans l'arsenal de ses personnages virtuels.
– Tiens, une meuf, remarque l'homme qui venait de débouler dans la chambre.
Ce dernier a la peau noire. Un regard inquiétant illumine son visage buriné. L'homme qui tient Anna en joue baisse le canon de son arme. Anna se risque à croiser son regard. Dans d'autres circonstances, elle aurait pu craquer, si ce n'est avoir un coup de foudre tant elle le trouve beau. Il a les cheveux bruns, mi longs et une barbe de trois jours. Son regard est pénétrant et magnétique. Il se dégage de lui un puissant magnétisme et une sorte de charisme qui la désemparent. Prise entre la peur et l'attirance, son trouble augmente encore lorsque le brun ténébreux lui décoche un sourire, découvrant des dents blanches.
– Alors la miss, on joue à cache cache ?
– Preum's, jubile l'autre inconnu, portant ses mains à son ceinturon.
Le beau brun lui jette un regard réprobateur. Son comparse se ravise et sort un couteau de sa poche arrière, tout en toisant la jeune femme d'un air menaçant.
– Non, nous sommes des gentlemen, murmure l'homme portant l'Ak47. Nous ne nous sommes même pas présentés. Moi c'est Théo. L'autre vilain c'est James. Et toi ma belle?
Anna hésite quelques secondes et sonde le regard de Théo. Il n'a pas l'air méchant. Son regard a l'air presque amical. Elle baisse les yeux.
– Anna, je m'appelle Anna, répond-elle docilement.
Le trouble qui l'avait envahie s'accroît encore. La peur se mêle à une forme étrange d'attirance. Comme prise entre deux feux, bouleversée par de si puissantes pulsions contradictoires, elle ne parvient pas à réprimer un frisson qui devient un tremblement. Théo affiche un sourire satisfait, constatant l'effet qu'il fait à cette si charmante jeune femme.
– Bon, on se casse, bute-la si tu ne veux pas te la faire.
Anna lui jette un regard plein de haine.
– Non, attends, elle pourrait nous être utile, et ça serait un beau gâchis. Belle Anna, Dis-nous, que faisais-tu avant, je veux dire avant que tout parte en sucette ?
– J'étais interne en chirurgie.
– Bah tu vois, on fait bien de l'épargner cette jolie demoiselle.
Comme un enfant, James affiche une mine boudeuse.
– En quelle année ? s'enquiert Théo.
– Première.
Théo a l'air un peu déçu.
– Ça le fera, tu as déjà suturé des plaies, fait des bandages.
– Bien sûr ! répond Anna, sur le ton de l'évidence.
– Cyril appréciera sans doute un médecin dans la communauté, on n'a que Martine, indique Théo à son compagnon, comme s'il cherchait à avoir son approbation.
–Mouais, je pense que t'as raison.
– Bon, écoute moi attentivement. Je vais te laisser le choix. Tu peux rester ici, sans nourriture, vu qu'on va tout prendre ou bien nous suivre. On est un groupe de plus de deux cents personnes. On est soudés et organisés. Tes chances de survie augmenteront en flèche si tu nous suis. Alors t'en penses quoi ?
– Je ... Anna hésite. Je dois rester avec ma mère.
– Elle pourrait nous suivre, propose Théo.
– C'est pas possible. Elle n'en a plus pour longtemps.
– Comment ça ?
Anna perçoit de la compassion dans son regard. Sa première impression était fondée, ce type n'est pas un méchant.
– Ma mère a un cancer, elle est en phase terminale. C'est l'histoire de quelques jours, je ne peux pas la laisser mourir seule.
Théo interroge son comparse du regard. Ce dernier secoue vivement la tête en signe de dénégation.
– Je suis désolé, tu sais, le monde dehors, c'est la jungle. Seuls les plus forts survivent. Théo marque un silence. Si tu veux, je peux ...
Anna fond en larmes. Elle comprend tout de suite et sans que le jeune homme n'ait à terminer sa phrase. Il lui propose d'achever sa mère.
La situation ne fait finalement que précipiter les choses. Anna se retrouve placée devant un dilemme. D'un côté, obéir à une froide logique de survie, de l'autre, elle pourrait faire preuve d'humanité, et peut-être de faiblesse. Anna hésite. James quitte la pièce et redescend piller les denrées alimentaires.
– Je sais, ce n'est pas facile.
– Vous ne pouvez pas revenir, me chercher quand ce sera fini ?
– On ne sort pas quand on veut. On prend des risques énormes quand on patrouille. Je ne peux pas te garantir que nous reviendrons, je suis les ordres. Je pense qu'il est très peu probable qu'on puisse revenir
– Alors je reste. Je ne peux pas laisser ma mère agoniser seule.
Théo a l'air déçu par la réponse. Il se tient silencieux, lui aussi a l'air d'être placé face à un dilemme moral. Tout à coup, son visage parait plus grave, son regard s'assombrit. Il remonte le canon de son arme et tient à nouveau Anna en joue.
– Descends et aide James à remplir les sacs ! Je vais faire ce qui doit être fait.
Anna lui jette un regard surpris. Elle secoue la tête.
– Tu vas la tuer ?
Théo ne répond pas. Il tente de se donner de la contenance, puis il commence à se montrer menaçant. Sa mâchoire se crispe, son doigt se raidit sur la gâchette. Anna se dirige vers la porte, elle marche d'un pas feutré. Elle évite tout geste brusque. Elle regarde furtivement l'entrée de la chambre de sa mère, la bougie est toujours allumée et inonde la pièce d'une lueur dansante et angoissante. Lentement, elle descend les escaliers. Plongée dans le noir, elle entend James entasser les boîtes de conserve et Theo souffler. Il éteint la bougie, se dit-elle. Elle continue à descendre, elle ne fait quasiment aucun bruit, cherchant le mur de la main gauche, se guidant de la rambarde de la droite. Elle entend chuchoter à l'étage.
– J'ai fait le plein, on décampe, vocifère James.
Un coup de feu retentit . Anna sursaute et fond en larmes. Théo vient de tirer, elle n'a pas eu le courage d'opposer la moindre résistance. Elle n'a même pas osé aller dire au-revoir à sa mère.
– Putain, grouille, on va se faire repérer avec tes conneries ! s'inquiète James.
Théo descend d'un pas lourd et lent, il baisse les yeux en croisant le regard d'Anna. Ils rejoignent une camionnette située devant la porte d'entrée de la maison. Un inconnu d'une cinquantaine d'années est au volant. Il invite Anna à monter. Elle s'exécute, mécaniquement. Choquée et traumatisée, elle est complètement désemparée et perdue. Théo monte à sa suite. Il chuchote quelque chose à l'oreille de James.
– Putain tu fais chier connard, récrimine James.
Ce dernier sort du véhicule, court vers la maison. Le moteur du véhicule continue à tourner. Anna entend quelque chose qu'elle n'avait pas entendu depuis trois mois, de la musique. Elle n'y prête même pas attention. Un bruit sourd retentit. James revient en courant, remonte dans le véhicule et claque la portière.
– Bon les mecs, faut vraiment y aller.

Après la finOù les histoires vivent. Découvrez maintenant